Jules César de l’Egypte à Ste Livrade (présentation)

Préparation à la projection du 20 septembre

« Giulio Cesare » au cinéma l’Utopie à Ste Livrade

Afin de profiter au mieux de ce spectacle, voici quelques repères simples, complétés par des liens, autant de pistes pour approfondir éventuellement…. Car ce que nous allons voir (et entendre !) lors de cette projection du 20 septembre prochain est en effet un objet particulièrement composite. Essentiellement composite (comme les matériaux nouveaux qui acquièrent de ce fait des qualités renforcées).
Quatre dates peuvent suffire à analyser, clarifier la nature de ce spectacle. Ces quatre moments vont donc être abordés ici l’un après l’autre, et lors de la projection ils vont apparaître ensemble, simultanément, se fondre l’un dans l’autre. Chacun de ces « moments » ne détient qu’une partie des éléments et chacun des trois autres agissent sur lui comme des filtres, des masques ou des éclairages. Cela fonctionne en tout comme une superposition de quatre feuilles de papier calque, chacune en partie transparente et en partie chargée d’informations, et dont on pourrait modifier l’ordre d’apparition, l’une devant l’autre. A travers l’ensemble se forme une image globale, résultante. La visibilité de chaque calque dépend de l’effet produit par les autres… et dépend encore davantage du spectateur ! Chacun peut laisser aller ses réflexions d’un point de vue à l’autre, distinguer ou non…

monnaieLe profil de Cléopâtre sur une monnaie de l’époque ptolémaïque

I. Alexandrie, an 48 avant JC. L’Histoire.
Les premières sources d’informations sont nombreuses, car l’événement (Jules César débarqua en Égypte après avoir vaincu Pompée à la bataille de Pharsale), et tout ce qui s’en suivit (sa relation avec Cléopâtre) a été immédiatement l’objet de récits et de commentaires ! C’est une des particularités de cet bref épisode de l’histoire romaine, de ne pouvoir être racontée de façon neutre: les jugements sur le comportement de César ou la personnalité supposée de Cléopâtre sont présents au premier plan chez tous les auteurs, même les plus habituellement tempérés. Probablement parce qu’il s’agit de sexualité et de pouvoir. Et de morts violentes : Pompée, dont la tête est amenée à César, le jeune Ptolémée qui se noie, César dont nous savons déjà qu’il sera poignardé par une conjuration quatre ans plus tard, Cléopâtre qui se suicidera après sa relation avec  Marc Antoine.. (mais il faudrait aussi citer l’exécution d’Achillas etc..).
La version la plus crue et la plus hostile aux protagonistes du séjour égyptien de César se lit évidemment dans la « Vie des douze césars » de Suétone; Dans les « Vies parallèles » de Plutarque, il y a plus de retenue. Aurius Hirtius est plus favorable à César, puisqu’il en prolonge le récit personnel. Mais quel que soit l’auteur qu’on relise, nous avons affaire au mieux à une dénonciation morale ou politique avec réprobation, au pire à des inventions et des ragots, sans retenue.
Dans cette présentation en quatre calques, on s’aperçoit vite que ce calque de fond, cet arrière-plan du spectacle qui devrait être une « réalité » historique solide, des événements dont on ne peut nier qu’il ont eu lieu, s’avère n’être dans le détail qu’un tissu de suppositions, un support de fantasmes. La petite histoire de la séduction du dictateur ambitieux et implacable par la jeune égyptienne devint vite un excellent sujet de roman, repris à toutes les époques et sous toutes les formes : livres, théâtre, opéras. La version la plus récente se trouve dans un épisode de la série télévisée « Rome », superproduction américaine, tendance Suétone, qui a été diffusée sur Canal+ et puis sur Arte.. Mais il y en aura d’autres…

Pour en savoir plus…
lire le récit par Aulus Hirtius
ou la vie de César, dénigré comme dans un tabloïd anglais par Suétone
ou encore la vie (et surtout la mort) de Pompée racontée par Plutarque.
Du même Plutarque, la vie de César (à partir de la page 41…)

II. Londres, 1724. L’opera seria
Les premiers opéras, spectacles lyriques produits sur scène, avec orchestre, décors et machinerie datent de 1600 (facile à retenir). Pendant tout le XVII siècle la formule se développa et connut un énorme succès, en Italie notamment d’abord à Venise, puis à Naples. Georg Friedrich Haendel, (né en Allemagne en 1685) passa deux années à Naples avant de venir se fixer à Londres. Entre 1703 et 1740 Haendel y composa une quarantaine d’opéras à l’italienne, la plupart sur des livrets en italien, mais aussi en allemand et en anglais (Semele). Ce que l’on nomme un ‘opera seria‘ (sérieux, par opposition à « opera buffa« , comique) se construisait alors sur des conventions et des règles rigoureuses : des récitatifs accompagnés au clavecin donnent le déroulement de l’action et alternent avec des Airs (en italien Aria, arie) qui expriment les attitudes des personnages (la compassion, la tristesse, le regret, l’ardeur guerrière,…). Tous ces airs sont strictement eux-mêmes composés sous la forme ABA’. Une première partie, puis une deuxième différente et enfin la troisième qui reprend la première depuis le début (da capo, de l’en-tête) mais en donnant la possibilité au chanteur de vocaliser, ornementer, fleurir la mélodie initiale, tout en répétant les paroles. Ces contraintes formelles sont un véritable carcan, et ne favorisent pas le jeu dramatique… (nous verrons la prochaine fois, avec les Noces de Figaro, de Mozart, comment en 1760 la conception de l’opéra a grandement évolué en une génération)
Dans l’opera seria,  c’est le chant individuel qui est le but de la représentation et chaque Aria da capo donne l’occasion à chaque soliste à son tour sur scène de produire du « buon canto« … dans la mesure de ses moyens. Dans Giulio Cesare, on entend ainsi trois douzaines d’arie en trois actes. Même si cela n’évite pas des chutes d’attention chez l’auditeur, ce qui frappe c’est  l’extrême richesse de la formule : il se produisit quelque chose de semblable en poésie avec la forme « sonnet », fixe et contraignante mais qui a généré des chefs d’œuvre bien différents, de Ronsard à Baudelaire, et au-delà..
Pour en savoir plus :
Excellente analyse détaillée d’une aria da capo : l’Air de Sesto, le fils de Pompée au premier acte, devant la mort de son père ‘ Svegliatevi nel core ‘. Sur cette page du site musicologica , il y a des indications pour profiter de l’écoute proposée en ligne, surtout en suivant  la partition annotée de manière très lisible (à télécharger)

III. Paris, février 2011. L’interprétation. Les interprétations…
Représenter sur scène un tel opéra consiste à faire des choix. Des choix entre plusieurs options qui vont tirer le spectacle dans tel ou tel sens.

sellars88

Par exemple, ci-dessus, le metteur en scène iconoclaste Peter Sellars en 1993 au théâtre des Amandiers à Nanterre, avait choisi de transposer l’histoire de Giulio Cesare dans le monde contemporain, dans l’actualité.. Le président des États-Unis, la fille d’un roi du Pétrole.. la force de la musique de Haendel est telle qu’elle résiste au détournement et le comique peut être poussé loin.
En 2011, Laurent Pelly, en situant le déroulement de l’action dans les réserves d’un musée (Le Caire ?) propose plutôt une métaphore de la mémoire (d’emblée un employé époussette une statue) et affronte le risque de faire apparaître ses personnages comme des revenants, mais là aussi la puissance du chant chasse toute ambiguïté : je chante, donc je suis.
En ce qui concerne l’interprétation musicale, l’ensemble instrumental dirigée dans la fosse par Emmanuelle Haîm (le Concert d’Astrée) joue sur des instruments anciens et à l’ancienne manière du XVII siècle suivant les indications re-découvertes par ceux que l’on a d’abord appelé les baroqueux, il y a trente ans, mais qui ont prouvé, en particulier sur ce répertoire, à quel point leurs recherches étaient fructueuses.
Pour en savoir plus :
Voici différentes versions d’une aria, ‘Impio dio‘ toujours au premier acte, lorsque César exprime sa fureur devant la mort de Pompée et s’adresse à Achillas. . Les trois extraits audio ci-dessous ne permettent d’entendre que la fin, la reprise da capo; (Pour entendre l’intégralité, il faut aller sur Deezer ou Spotify…). Les deux videos sont complètes. Résumé en français des trois parties (ABA’)
Je dis que tu es un infâme
Ôte-toi de ma vue
Tu es un monstre sanguinaire

il n’est pas digne d’un roi ce cœur
Qui s’abandonne à la cruauté
Et qui ne ressent aucune pitié

Je dis que tu es un infâme
Ôte-toi de ma vue
Tu es un monstre sanguinaire.

1) La version de la mezzo-soprano Jennifer Larmore, est accompagnée de la partition en image et du texte en italien ! il est donc intéressant de commencer par elle. Le tempo, modéré, permet d’entendre distinctement toutes les doubles croches. Un beau vibrato et des fioritures bien maîtrisées avec un beau timbre de mezzo dans les graves…


2) la version suivante est sans image, mais intéressante par son tempo échevelé (trente secondes de moins que les autres !), du contreténor Robert Expert, qui confond vitesse et précipitation, avec d’inévitables accidents . Voici la reprise finale


3) la lente et grave version du baryton Dietrich Fischer-Diskau demande un petit temps d’adaptation, écoutée juste après la (2) mais on s’aperçoit au fur et à mesure qu’il y a une dynamique puissante, une réelle musicalité, malheureusement démodée…


4) pour le plaisir de l’expression (pas besoin de la voir pour deviner sa fureur grimaçante, les inflexions sont terribles) la version de la contralto Marie Nicole Lemieux (très à la mode), vraiment très convaincante, difficile de ne pas frémir dans cette reprise da capo, même l’orchestre semble surexcité ! En fait-elle trop ?


5) Enfin Andreas Scholl, merveilleux contreténor, ici sur scène, dans un décor pauvre et de piètres costumes… Sa virtuosité vocale est étonnante et émouvante…  la voix de Lawrence Zazzo que nous verrons sur écran est-elle comparable ? (son « incarnation » sera plus forte, plus expressive)…

Comme on vient de l’entendre, l’aria peut être chantée dans tous les registres… de baryton à contreténor… et aussi bien par une femme que par un homme. il est donc temps de rappeler que, dans l’opéra de Haendel en 1724 le rôle de César été écrit pour un (fameux) castrat.. Dissipons deux doutes : (a) on ne coupait pas les roupettes des petits garçons, comme l’explique très clairement cette page Wikipedia,  ou de manière très développée cette page de forum opéra et (2) la voix de contreténor actuel résulte d’un travail technique de la « voix de tête », le chanteur gardant tout intégralement y compris sa voix « virile ». Philippe Jarousky est probablement le contreténor français actuel le plus connu.

IV. Ste Livrade 2015. L’opéra au cinéma
Quatrième et dernier calque, superposé au trois autres, il semble particulièrement transparent. Il l’est par moment (« on s’y croit »). Mais il mérite d’être examiné à part.
Les représentations sur la scène de l’opéra de Paris (Palais Garnier) ont été filmées en février 2011 . Le terme « diffusion en différé » marque bien la différence avec la « diffusion en direct » qui a eu lieu le jour de l’une des représentations grâce à une transmission par satellite. Ce que nous verrons sur écran à l’Utopie, le 20 septembre 2015 est donc une reproduction, un produit « en conserve », re-programmable à l’identique (alors que le spectacle en direct est imprévisible et variable d’une représentation à l’autre) Il existe aussi dans le commerce en DVD.. Les avantages de la diffusion en salle de cinéma sont nombreux : prix des places, proximité, mais aussi confort visuel et auditif. La prise de son, le mixage et la reproduction sont de telle qualité que le spectateur peut bien mieux entendre et bien mieux voir que s’il était à n’importe quelle place dans la salle ! Mieux voir : voilà ce que justement tient à nous montrer dès le début le réalisateur de la vidéo en nous « prenant par la main ». Mieux voir… ce qu’il choisit de nous montrer à sa façon ! (= définition du cinéma. Franz Kafka avouait ne pas l’aimer pour cette raison « Ce n’est pas le regard qui saisit les images, ce sont elles qui saisissent le regard »).

Pour en savoir plus :
Regardons comment cela s’opère d’emblée en douceur, plan par plan :
operacadrage01

Quand la musique de l’Ouverture commence, il y a d’abord ce plan de la fosse d’orchestre, pris côté cour, de telle sorte que l’on aperçoit presque tous les musiciens et le bord de la scène. Mais comme il n’y a encore ‘rien d’autre’ à voir, ce point de vue latéral plongeant se prolonge en un mouvement de zoom avant, sur Emmanuelle Haïm, qui dirige debout devant son clavecin. Le réalisateur montre ainsi tout de suite que « ça va bouger » (= on ne va pas s’ennuyer). cut.
operacadrage02le deuxième cadrage vient du côté jardin, mais en mode rapproché, comme un gros plan à l’intérieur de la fosse mais de manière à bien voir Emmanuelle Haïm et ses gestes. Léger zoom avant, là encore (=’avec nous vous pénétrez là où les spectateurs ne vont pas’). cut.operacadrage03 Le metteur en scène déclenche le lever de rideau : pour bien marquer cet instant théâtral, le réalisateur choisit l’image de la caméra frontale, distante, donnant une vue d’ensemble. Pas une retransmission d’opéra qui échappe à ce moment obligé. Ici et à ce moment, seul le rideau bouge, lentement. Lorsqu’il arrive presqu’en haut : cut.
operacadrage04 Prise de vue toujours de face, mais avec un point de vue brusquement rapproché : on ne voit plus les limites de la scène (encore moins la salle ou l’orchestre) : plan sur le seul humain que l’on pouvait apercevoir dans la vue précédente : au milieu d’objets hétéroclites, un homme assis de profil, lit le journal. Sans doute y apprend-il la victoire de César à Pharsale, en Grèce. A moins que ce ne soit les dernières nouvelles de Tsipras. Le réalisateur ne s’attarde pas (‘du mouvement ! du mouvement !’) et un léger travelling accompagné d’un zoom nous amène en gros plan sur la grosse tête sculptée emballée dans un plastique transparent qui se trouve derrière le lecteur de nouvelles.

operacadrage05
Partis il y a quelques secondes seulement d’un plan général de la scène, quasiment vue depuis le fond de la salle, du dernier rang, nous nous retrouvons (déjà) dans une vue typiquement vidéo, ce genre de gros plan inaccessible au spectateur dans la salle (sauf s’il est muni de jumelles : mais choisirait-il de regarder cela ?). Par la suite, il y aura ainsi beaucoup de zooms, de panoramiques et autres travellings : le mot d’ordre reste la mobilité. Sur scène, le metteur en scène Laurent Pelly semble lui aussi avoir ce souci et ses figurants (les magasiniers) vont beaucoup s’agiter. Du fait de cette instabilité de l’image, qui sollicite sans cesse le regard, Il faut parfois faire un effort pour rester attentif au calque numéro 3, concentré sur  la musique et le chant, qui sont l’essentiel de ce spectacle.

L’analyse rapide et superficielle de ces quelques premières images montre assez que le calque « cinéma » intervient fortement dans la perception de la scène, de l’opéra et de l’Histoire !

Pour finir, et en vous remerciant de votre lecture (n’hésitez pas à commenter) voici quelque reproductions d’affiches de films ayant pour héroïne principale Cléopâtre :
Dès 1917 un film muet avec une certaine Theda Bara (la première « femme fatale » à l’écran)

affthedabara1917
en 1934 Cecil B. de Mile réalise un film « à grand spectacle » avec Claudette Colbert, encore plus mutine sur d’autres photos

affcecilBcolbert1934
en 1963 il y a l’inoubliable film de Mankievicz, avec Liz Taylor (et ses 65 robes différentes pour ce seul rôle) et Richard Burton en Antoine. César y est interprété par Rex Harrison

affmankievicz63
en 2002, la version comique d’Alain Chabat avec Monica Bellucci. Mais celle-là vous l’avez vue, non ?…

affbellucci2002

en bonus bouquet final : la Bande-annonce du film de 63, où Liz apparaît avec quelques unes des robes… après avoir cliqué sur le lien ci-dessous, patientez une vingtaine de secondes (!) le « trailer » est précédé quelques panneaux publicitaires muets et un peu longuets, mais après… « le spectacle des spectacles!!!!! »

(comme dirait notre Ministre de l’Acharnement sur les Langues Mortes, avec tout ça on en oublierait presque que Cléopâtre et César, les originaux, se parlaient en langue grecque…)

 DEMANDEZ LE PROGRAMME !

Comme d’habitude, les spectateurs de la projection de l’opéra de Haendel, le 20 septembre pourront prendre un programme à la caisse.  Mais vous pouvez déjà le télécharger (et l’imprimer ) au format pdf, recto ( GiulioCesare ) et verso ( GiulioCesare2 ) ou simplement agrandir les images ci-dessous pour le lire

progcesarrectoprogcesarversoPour en savoir (encore) plus sur la distribution :

le site de Natalie Dessay,  qui interprète Cléopâtre

le site de Lawrence Zazzo, contre-ténor qui chante Jules César

2 réflexions sur « Jules César de l’Egypte à Ste Livrade (présentation) »

  1. Bravo pour cette recherche fouillée. Personnellement je n’ai pas la patience d’explorer les liens qui sont offerts, d’une manière générale, ce n’est pas spécifique à cet exposé…
    Par contre, en fin de lecture, il ne me reste pas une idée très nette du sujet abordé par l’oeuvre : César et Cléopâtre, les amours de Cléopâtre (*), la séduction de César ??? (où cela commence-t-il, où cela finit-il ?)
    (*) Cléopâtre a-t-elle été la maîtresse du futur Auguste ??? (de Marc Antoine oui, mais il meurt, et quand Octave se proclame Auguste, Cléopâtre n’est plus – si mes souvenirs sont bons)

  2. Merci ! Le programme, qui sera distribué lors de la projection est maintenant téléchargeable en pdf sur la page web, manquait lors de votre consultation. Le résumé des trois actes répond à vos questions: il s’agit dans cette oeuvre uniquement de l’arrivée à Alexandrie de César, autrement dit ses premières rencontres avec Cléopâtre. Par la suite, il l’emmène à Rome, etc, comme le racontent les historiens, mais cela est en dehors de cet épisode (très limité dans le temps et dans l’espace)

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