La Fille de Neige (Rimski-Korsakov)

La Fille de Neige, opéra de Rimski-Korsakov
L’inévitable bande-annonce :

Et maintenant passons aux choses sérieuses (?) :
Commençons par une courte vidéo, interview du metteur en scène, Dimitri Tcherniakov qui, grâce à un habile montage supprimant ses hésitations, réussit à dire beaucoup de choses importantes à propos de cet opéra, en peu de phrases (1’38):

Voilà qui est clair : cet opéra N’EST PAS un « opéra pour enfants », même s’il est basé sur un conte populaire, à partir duquel un auteur dramatique,  Alexandre Ostrovski,, avait écrit une pièce de théâtre « sérieuse ».

Mais Dimitri Tcherniakov devait choisir : comment représenter aujourd’hui à Paris cet opéra (créé en 1882 à Saint-Petersbourg) ? Sa réponse a consisté à reproduire ici la mise en scène qu’il avait imaginée pour le Théâtre Marinjski de Saint Petersbourg il y a deux ans. Or nous n’avons pas – à Paris ou à Sainte-Livrade-sur-Lot, sur ce point c’est pareil-  la connaissance « antérieure » de cette histoire. Nous avons été élevés à l’Ouest (et dans le sud-ouest) avec les images du gros barbu, le Père Noêl, et non pas avec la jeune fille « flocon de neige » (équivalent pour les russes de ce que nous représentons sous la forme d’un « bonhomme de neige », qu’ils ne connaissaient pas) et nous ne sommes pas habitués à voir son beau visage juvénile entouré d’une couronne à huit rayons comme image éclairante au plus profond d’un hiver interminable.

Nous ne sommes même pas habitués à penser l’hiver comme un homme rude et le printemps comme une fée, bref, nous n’avons pas les mêmes souvenirs individuels d’enfance ni les mêmes symboles collectifs (ne parlons pas de la langue). DONC, lorsque le metteur en scène choisit de transposer cette histoire initiatique à l’époque actuelle, voire de « plaisanter » au second degré pour un public qui connait les références traditionnelles, nous nous retrouvons un peu déconcertés. Un peu comme des ados à qui on projette « West Side Story » en leur disant que c’est l’histoire de Roméo et Juliette à Verone au XV siècle (drame qu’ils n’ont ni lu, ni vu)…

Heureusement Dimitri Tcherniakov dispose de merveilleux talents et sait produire de très belles images scéniques. Il conçoit lui-même les décors. Parce qu’il réussit à préserver par moment une intense poésie, et un peu de magie,  on supporte que notre fondante fille de neige se retrouve plantée prosaïquement au milieu des caravanes Trigano comme si elle débarquait dans la famille Bidochon ou dans un sketch des Deschiens. (axe Dimitri Tcherniakov / Macha Makeïeff). Bref, à vous de voir…
Pour le plaisir du paradoxe (que deviendrait-on sans paradoxe ?), voici une animation destinée.. parait-il, aux adultes et qui associe des images aux mots-clés, comme si on était tous devenus incapables de comprendre sans le renfort d’icônes et graphismes simples et surtout « amusants » (cela dure une minute et vous remarquerez qu’il est impossible de rester attentif à la musique…):

Que ne faut-il pas faire pour persuader de venir voir un tel opéra, en jurant que ce n’est pas « ennuyeux » !
Il faut reconnaître que l’œuvre a de quoi intimider : chantée en langue russe, elle dure plus de trois heures et demie… et ne raconte pas des événements qui se succèderaient à un rythme d’enfer… Oui, mais… quelles mélodies ! quels chants ! quelle orchestration ! et il y a des danses ? oui, il y a aussi des danses et des chœurs. Ah bien, très bien !.

Un paragraphe à propos des principaux interprètes :
La soprano russe Aida Garifullina chante la fille de neige. Si vous avez vu le film « Florence Foster Jenkins » de Stephen Frears (et non pas le « Marguerite » français, qui était pourtant plus intéressant) alors vous avez déjà aperçu Aida Garifullina : c’est elle qui interprète brièvement le rôle de Lily Pons chantant au Carnegie Hall un extrait de l’air des clochettes de Lakmé..

La soprano autrichienne Martina Serafin chante le rôle de Kupava; Elle vient de chanter le rôle d’Elsa von Brabant dans Lohengrin…avec Jonas Kaufmann (à Paris) : il paraît (internautes) que c’était formidable et j’espère qu’on pourra voir ça un jour à l’Utopie ou à la rigueur sur Mezzo.
Le rôle de Lel, le berger Lel , prévu pour un contralto passe une octave au-dessus avec le contreténor ukrainien Yuriy Mynenko.. Le voici avec toute sa technique et sa musicalité virtuose dans une aria de Haendel « Crude Furie »

Et un dernier paragraphe au sujet de Rimski-Korsakov
…Ou Rimsky-Korsakov, avec un i grec si vous préférez, les deux s’écrivent, et ça ne change rien à la prononciation.
La vie de Nicolaï Andrei Rimski-Korsakov est très agréable à raconter : pas de cancan, pas de drame ni d’histoire tordue. Il naît dans une famille aristocratique (vous voyez, cela commence bien, je connais quelqu’un qui dirait : « il est né avec une cuiller dans la bouche »…). Il se révèle très précoce dans son attrait pour la musique, apprend à jouer du piano dès l’âge de six ans, s’amuse à composer dès l’âge de neuf ans. Mais, tradition familiale de haut rang oblige, il doit entrer dans la carrière militaire : à douze ans, il part en internat apprendre à obéir encore plus, puis à commander. Dans la marine. Là, on aurait pu avoir une version dramatique, mais non, il prend l’uniforme au sérieux et se contente de faire de la musique à chaque fois que c’est possible, en amateur. Il se lie d’amitié avec d’autres « amateurs » de son milieu, tels que Moussorgski et Borodine ! Bref, je résume : une vie qui sera longue et sans histoire mais dans laquelle je puise deux anecdotes seulement, pour faire court.
A la fin du premier concert où est joué sa Première Symphonie, en 1865 il a 21 ans, le succès est au rendez-vous, applaudissements prolongés et le public voit alors arriver sur scène le compositeur, qui, conformément au réglement de la marine Impériale, n’a pu sortir en société sans porter sa grande tenue de jeune officier . (imaginez la scène aujourd’hui…)
Deuxième anecdote, racontée par Rimski-Korsakov lui-même. Il n’avait pas reçu de formation musicale « théorique » très approfondie : en particulier ce qui s’appelle l’Harmonie et le Contrepoint, c’est-à-dire les règles d’organisation des sons en accord de façon « harmonieuse »  et la façon de combiner successivement les voix, les mélodies… Tout ce qui s’étudiait alors  dans les conservatoires de manière rigoureuse et chronologique (le chant grégorien, Bach etc..). Pourtant, compte tenu de ses succès il se retrouva amené à enseigner. Et, comme il le fit toute sa vie, il travailla énormément en autodidacte, pour combler ses lacunes. Il dit « J’apprenais au fur et à mesure ce que j’enseignais ».

La tombe de Rimski-Korsakov se trouve au cimetière Tikhvine, à Saint-Petersbourg, un endroit très émouvant, à côté du monastère Alexandre Nevsky… là se trouvent regroupées les pierres tombales de l’écrivain Dostoievski, des musiciens Moussorgski, Borodine, Tchaïkovski… mais aussi le chorégraphe Marius Petitpa et des peintres et des sculpteurs dont les noms nous sont moins familiers.
L’opéra La Fille de Neige (ou Flocon de Neige, Snegourotchka, en russe) se termine par la mort de celle qui fond quand le brouillard hivernal se dissipe, mais le tsar le chante avec force : maintenant le soleil va briller !

Votre chroniqueur devant la tombe de Rimski-Korsakov à Saint-Petersbourg, pour préparer son article.

Terminons avec le programme, tel qu’il vous sera remis (gracieusement) avec votre billet (12€) le dimanche 13 juin :


Mais peut-être préférerez-vous le lire et/ou l’imprimer en ouvrant  ce fichier : programme La Fille de Neige

Philippe Roussel