Le Trouvère

Il Trovatore

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Voici le programme à télécharger en pdf (il sera distribué à la caisse le jour de la projection)

1) Quelle histoire !
Si vous avez eu du mal à comprendre l’intrigue en la lisant pour la première fois, c’est normal. Moi aussi…Dans « le Trouvère » tout est très embrouillé, délibérément. Cela commence par ce récit des événements antérieurs, ce rappel d’une bohémienne qui a été brûlée vive, passe encore.. mais que sa fille au pied du bûcher ait pu jeter dans les braises un enfant pour se venger, ça devient déjà un peu incroyable ! Quand on apprend qu’elle a jeté dans ce feu non pas l’enfant du maudit-qui-a-brulé-sa-mère, mais le sien, son enfant à elle, il est difficile d’avaler cette méprise : lorsqu’on jette un enfant dans le feu, on prend soin de ne pas le confondre avec le sien, non? mais une fois que le spectateur aura admis ça (=s’il n’est pas sorti de la salle aussitôt en criant au fou) alors évidemment tout le reste devient logique : d’autres confusions cette fois dans l’obscurité, les crises, le désespoir, la jalousie, la vengeance à répétition, les amours impossibles et le fratricide. Le librettiste aurait même pu en rajouter; il nous a épargné l’alcoolisme, les colères clastiques, les hallucinations et diverses perversions qui auraient tout à fait pu découler d’une telle erreur originelle.
Blague dans le coin : Freud a expliqué qu’à l’origine des fantasmes, il y a le fantasme des origines. Mon père n’est peut-être pas mon père… et si ma mère… et peut-être que ce ne sont pas mes vrais parents… qu’ont-ils vraiment fait ensemble, hein ? qui sait ? Alors, vu sous cet angle, on comprend mieux pourquoi, malgré toutes ses invraisemblances, « Le trouvère » est un opéra qui « fonctionne » quand même. Que quelqu’un sur scène soit pris dans un imbroglio familial et ne sache plus à quel saint se vouer, ni à quel sein il a tété, voilà qui peut tout à fait susciter des mouvements d’identification…

2) Ploum ploum…ploum ploum…ploum ploum
Verdi le reconnaissait sans honte : il n’était pas un musicien aussi savant que Wagner, qu’il admirait sur le plan de l’harmonie. Chez Verdi, les accompagnements, y compris des grands airs, sont souvent peu intéressants. Service minimum : les basses marquent les temps et les altos font « ploum ploum » entre les deux. Dans les mouvements à trois temps, quelle misère, toute l’attention doit rester sur la mélodie, sinon on se déprime vite. Stravinsky, aurait dit sévèrement que les accompagnements de Verdi, c’était de la guitare. (mais je ne veux pas me fâcher avec mon copain guitariste). Ou alors, il y a ces grandes marches, ces chœurs qui représentent des foules unanimes avec tous les dangers historiques que cela évoque. Chanter en marchant tous ensemble, on sait où ça mène.
Mais… comme dans le couplet précédent, il y a un « mais » : mais,donc,… cette relative pauvreté harmonique disparait sous la richesse des mélodies ! Verdi, en quelques mesures, à partir d’une introduction qui peut être horriblement ploum-ploum, (on est là, on attend que le chant commence pendant que le tapis de corde se déroule avec ses répétitions basiques, on attend et…le miracle se produit), quelques secondes plus tard, on a oublié ce début qui nous semblait tergiverser; c’est un peu comme avec des églises baroques, dont la façade est austère et quand on entre, vlan, on en prend plein les yeux; Avec Verdi c’est plein les oreilles. Prenons un exemple, au hasard.
L’air de Leonora, au premier acte « Tacea la notte placida » (et là je m’aperçois que dans le programme déjà imprimé, j’ai écrit « note » au lieu de « notte », excusez-moi. Les italophones vont sourire). Voici d’ailleurs les paroles en italien et en français :
LEONORA
Écoute !
La nuit paisible était silencieuse ;
et, belle dans un ciel serein,
la lune montrait son visage argenté
joyeux et rond,
quand dans l’air infini
muet jusqu’alors, s’élevèrent
les sons doux
et faibles d’un luth,
et un trouvère chanta
des vers mélancoliques.
Telle l’humble prière
d’un homme qui invoque son Dieu :
et en elle toujours
revenait un nom, mon nom !
Je courus en hâte au balcon…
Il était là! C’était lui !
J’éprouvais ce bonheur qu’aux anges
seuls il est donné de connaître !
À mon cœur, à mon regard extasié

LEONORA
Ascolta!
Tacea la notte placida
e bella in ciel sereno;
la luna il viso argenteo
mostrava lieto e pieno!
Quando suonar per l’aere,
infino allor sì muto,
dolci s’udiro e flebili
gli accordi d’un liuto,
e versi melanconici
un trovator cantò.
Versi di prece ed umile,
qual d’uom che prega Iddio:
in quella ripeteasi un nome,
il nome mio!
Corsi al veron sollecita…
Egli era, egli era desso!
Gioia provai che agl’angeli
solo è provar concesso!
Al cor, al guardo estatico

et maintenant écoutons le début (1’30) chanté par Maria Callas. Peut-être devrez-vous l’écouter deux fois, en écoutant « séparément » la voix, puis l’accompagnement.. les cordes marquent 1-2-3-4-5-6, bien séparés mais assez pesamment n’est-ce pas? Puis, après une respiration, l’air devient plus nettement une valse 1-2-3,1-2-3, 1-2-3 mais sans accélérer et seulement pendant un court moment. Il y a aussi ces instruments (violons, flutes) qui entrent discrètement dans le mouvement pour doubler la voix. Ce chant renforcé prend de l’ampleur et la voix monte : l’addition de ces différents éléments (la voix qui monte vers l’aigu, sa puissance qui augmente, le soutien des instruments à l’unisson et à l’octave et enfin en-dessous l’accompagnement qui accentue le rythme ternaire au lieu de rester à une pulsation monotone..) .. tout cela, plus le rubato (liberté dans le tempo qui n’a rien d’automatique mais qui suit la respiration de la chanteuse, donc son cœur) : voilà qu’avec un orchestre plan-plan (ploum ploum) et des harmonies élémentaires Verdi nous emmène, sans que l’on puisse résister, vers des sommets de lyrisme… Sans oublier la beauté intrinsèque, le charme de la langue italienne….

3) Le fameux contre-ut
Parmi les passages les plus connus du Trouvère, il y a le fameux contre-ut de l’air « di quelle pira » à la fin du troisième acte. Contre-ut, cela signifie en l’occurrence la note Do la plus élevée qu’une voix de ténor puisse chanter. Si il veut chanter plus aigu, il passe dans le registre des contre-ténors (voix dite « de fausset », dont le timbre ressemble à celui d’une soprano). Pavarotti s’y essaya de temps en temps. Extrait de dix secondes

Sur internet on trouve plusieurs compilations de ténors différents dont on écoute seulement à la queue leu leu les dernières notes de « di quella pira » ! Évidemment dans le lot il y a de quoi sourire : entre ceux qui ne tiennent pas la note, ceux qui chantent nettement en-dessous… il y a, à l’opposé, Pavarotti par exemple, qui en rajoute : il pouvait rester plus de dix secondes, à plein poumons sur ce fameux contre-ut; Roberto Alagna, lui, soutient un très périlleux vibrato, qui oscille dangereusement bref tout ceci n’a plus grand chose à voir avec la musique mais se rapproche du cirque (acrobaties sur cordes vocales et sans filet).
Voici donc 25 ténors, qui disent tous la même chose « aux armes ! » mais avec plus ou moins de musicalité :

4) Le coin des cinéphiles
Au cinéma, on trouve des versions très anciennes du Trouvère, dès 1910 en Italie ! Mais arrêtons nous plutôt sur deux grands films : Senso, de Visconti et Une Nuit à l’Opéra des Marx Brothers. Un film tragique, un film comique,  commençons par la mauvaise nouvelle.
Dans Senso , le mélodrame de Luchino Visconti, les lettres blanches du générique de début défilent sur l’image d’une représentation du  Trouvère  de Verdi, à la Fenice de Venise en 1866. Pendant deux minutes un travelling avant nous amène au plus près de la scène, puis de biais, de façon à apercevoir côté jardin, dans les décors, un machiniste, et cela au moment précis où le nom de Visconti lui-même est lisible sur l’écran. Nous sommes déjà plongés au cœur de la tragédie, mais donnée en spectacle : à la fin du troisième acte, en plein climax, le héros Manrico sur le point de s’unir à Leonora, « Ah si, ben moi, col’essere » est soudain informé du sort épouvantable qui attend sa mère. Il dégaine son épée et entonne l’irrésistible « Di quella pira »… Amour, Vengeance, Mort, comme un résumé de ce qui nous attend dans le film lui-même, qui raconte la liaison, style Bovary, d’une femme avec un pleutre qui se moquera bien d’elle. Mais l’élément important, c’est que le soldat est autrichien ! La salle de spectacle, à la Fenice est remplie d’officiers « occupants ».. et l’air de Manrico, le trouvère, résonne comme un hymne, un appel au soulèvement, contre-ut ou pas : « all’ armi ! ». Ce que confirme une soudaine pluie de tracts jetés des balcons. En jouant à la fois de la scène, de la salle et de ce qui se passe dans une loge, Visconti tisse un récit extrêmement brillant et en même temps réalise un document de l’Histoire italienne : exaltation du sentiment national (1866), amour de l’opéra, amour de Verdi, Amour tout court. Mais tout cela finira mal, y compris pour l’Italie, l’italien et l’opéra, pas seulement pour la pauvre naïve séduite et éconduite par un bel uniforme sans cœur.

(la scène suivante est encore plus belle, une leçon de cinéma : après l’entracte,  le couple se retrouve dans la loge et pendant leur dialogue on aperçoit  dans un encadrement comme dans un miroir (!!) la cantatrice sur scène qui chante son amour pour Manrico… oui vous trouverez aussi cette séquence sur internet, mais le film complet en dvd est en vente sur Amazon, où vous retrouverez mon commentaire complet sous le titre « un film à écouter attentivement« ..)

Et maintenant la version comique. 1935, les frères Marx, « Une nuit à l’Opéra » . Dans ce film, Le trouvère sert aussi de référence, mais pour une entreprise de sabotage. Une parodie. C’est Groucho qui mène le tout; Voici l’Ouverture, revue et corrigée avec intrusion de Harpo et changement de partition en cours de route, sans oublier le violon détourné en batte de base-ball à la fin de la séquence..

il faudrait citer d’autres séquences, mais il est raisonnable de s’arrêter là. Merci de votre attention et à dimanche 20 mars 17h30 à l’Utopie. tarif : 12 € , boisson chaude offerte à l’entr’acte.

Philippe Roussel

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