La damnation de Faust

La damnation de Faust

PROBLEME :

Etant donné une œuvre, composée en 1846 qui ressemble à un opéra mais qui n’en est pas tout à fait un, comment faire pour la mettre en scène en 2015 ?

Au moins trois solutions possibles :
– privilégier le chant et la musique, en laissant les chanteurs immobiles devant l’orchestre placé sur la scène. Cela s’appelle une version de concert et « la Damnation de Faust » d’Hector Berlioz a été présentée de cette façon à plusieurs reprises.
– monter un spectacle ressemblant à ce que Berlioz lui-même avait décrit dans le livret : costumes d’époques, décors matérialisant les lieux évoqués…Le compositeur n’a jamais vu une représentation intégrale de son œuvre sur scène (la première n’a eu lieu qu’en 1880 à Londres, puis New York)
– reprendre la lecture de la légende de Faust en l’actualisant par des associations d’idées et en utilisant des moyens (projections de vidéos par exemple) dont Berlioz ne disposait pas, mais allant dans le sens du grandiose et du spectaculaire qui caractérise la plupart de ses compositions.

Cette troisième possibilité a été choisie par le metteur en scène letton Alvis Harmanis.
Le personnage de Faust, ce savant qui se met à douter de la science abstraite et se laisse tenter par une jeune beauté bien en chair, avec au passage intervention du diable en personne (excusez le résumé simpliste) peut alors faire penser à Stephen Hawking. Stephen Hawking, un avatar de Faust. Stephen Hawking est notre contemporain. Il a fait de brillantes études de mathématiques et de physique, puis s’est retrouvé cloué dans un fauteuil par la maladie de Charcot. Ne pouvant plus communiquer que par des clignements de paupière, il a continué à développer ses travaux théoriques. Ses livres ont du succès (« une brève histoire du temps » est un best seller) et sa vie privée, ses démêlés avec ses infirmières-épouses successives en ont fait un « people » qui ne rechigne pas à la médiatisation. Le philosophe Plotin, il y a deux mille ans, énonçait que l’âme était dans le corps comme dans une prison ou un tombeau. Stephen Hawking, faustien en diable, semble « réduit » à la seule activité de son cerveau, débordant d’idées. Idées et fantasmes que le metteur en scène projette en images envahissantes.
Lors de la première à Paris il y a eu des sifflements, des quolibets, une sorte de bataille d’Harmanis.

Exemple : Une critique dure, celle de Fancette Lazard et René Piquet dans le journal l’Humanité . (cliquer pour la consulter en ligne)

Une autre critique, encore plus dure sur forum Opéra, signée Guillaume Saintagne (à lire !)

Et d’autres plus compréhensifs, exemple à lire ici dans culturebox une critique admirative signée Bertrand Renard

TEXTE ORIGINAL EN FRANÇAIS :
Pour bien comprendre l’enthousiasme romantique de Berlioz lorsqu’il a lu le Faust de Goethe dans la traduction que venait d’établir et publier Gérard de Nerval, rien de tel que de jeter un coup d’œil dans le texte lui-même ! (pas question de lire tout, ce style est devenu très fatigant pour nous, par ses longueurs, ses lourdeurs et surtout ses figures amphigouriques). En en lisant quelques passages on comprend toutefois mieux la mise en scène d’Alvis Harmanis… vous pouvez ici suivre ce lien pour lire ad libitum (ou ad nauseam) la traduction de Nerval

Si vous n’avez pas le temps voici un très court extrait (page 14) de ce que « le poète » (Goethe) déclare en préambule à ceux qui le critiqueront (Harmanis a certainement lu ça)

« …Quand vous ne faites rien, à quoi bon, s’il vous plaît,
Nous dire seulement ce qui doit être fait ?
Usez donc de votre art, si vous êtes poète ;
La foule veut du neuf, qu’elle soit satisfaite !
À contenter ses goûts il faut nous attacher ;
Qui tient l’occasion ne doit point la lâcher.
Mais, à notre public tout en cherchant à plaire,
C’est en osant beaucoup qu’il faut le satisfaire ;
Ainsi, ne m’épargnez machines, ni décors,
À tous mes magasins ravissez leurs trésors,
Semez à pleines mains la lune, les étoiles,
Les arbres, l’Océan, et les rochers de toiles ;
Peuplez-moi tout cela de bêtes et d’oiseaux,
De la création déroulez les tableaux,
Et passez, au travers de la nature entière,
Et de l’enfer au ciel, et du ciel à la terre… »

et maintenant si on écoutait un peu de musique ?

ici le début de la fameuse Marche Hongroise du premier acte :

Berlioz l’avait composée quelques années auparavant et cette marche avait été un grand succès. Alors, lorsqu’il entreprend de composer Faust il a eu l’idée de la recycler, de s’en resservir : et voilà pourquoi le premier lieu de l’action dramatique est situé… dans les plaines hongroises.

Et dans ce très bref extrait de l’une des danses de Sylphes ce superbe crescendo, suivi par des forte de trombones sans doute décoiffants pour l’époque :

 

Et il est temps maintenant de penser aux cinéphiles !

Il y a eu beaucoup de « Faust » au cinéma… celui de Murnau (1926) bien sûr mais des dizaines d’autres. En particulier ce très sympathique film de René Clair, »La beauté du diable » avec Gérard Philippe et Michel Simon, qui surjoue et en fait des tonnes, surtout quand il est filmé en contreplongée, éclairé par le bas…

Mais il ne faut pas oublier, même si la pellicule est perdue, un de ces tout premiers films d’animation (1910 !) réalisé par le touche-à-tout Emile Cohl « Mon tout petit Faust » : il filmait image par image le déplacement de ses poupées-marionnettes devant un décor de maison de poupée…

faustCohl

DEMANDEZ LE PROGRAMME

n’hésitez pas à télécharger et imprimer chez vous ce programme, qui vous sera sinon remis gracieusement à la caisse du cinéma l’Utopie, dimanche 17 janvier 2016 à 17h30 :

programme version papier de Faust

BONUS… pour ceux qui ont parcouru la page jusqu’ici : Jonas Kaufmann chantant « Nature immense, impénétrable .. » tel que nous allons l’entendre dimanche sur l’écran. (Au lieu de regarder en gros plan ses lèvres humides et ses dents, essayez de concentrer votre audition plutôt sur la ligne de basses, la ligne des violoncelles et des contrebasses.. en rapport avec son chant. C’est plus intéressant mais encore une fois on constate la puissance de l’image par rapport à la musique, il faut vraiment se rappeler à l’ordre soi-même pour ECOUTER)

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