Kurosawa … suite (deuxième cycle : 8 films)

Kurosawa, deuxième cycle

Au programme :

On n’est pas à la fac : vous pouvez passer en cycle 2, même si vous n’avez pas suivi le cycle 1 entre septembre et décembre 2016
Cette fois, 8 films au programme, dont 2 inédits. Les dates de projection vont être fixées très prochainement. Voici déjà la présentation en images fournie par le distributeur, notre chère Carlotta. Ce  montage rassemble à toute vitesse des extraits très brefs mais nous donne quand même une idée de ce qui nous attend et que nous aimons: des images fortes de mouvements, d’actions, des expressions, des éclairages de rêve, des cadrages picturaux et même… (pour ceux qui ont suivi le cycle 1, et oui, désolé) des visages connus.
Y en a-t-il qui acceptent encore de lire quelques lignes de texte ? Bien, alors voici la présentation du cycle rédigée par Catherine Cadou.
(Catherine Cadou sait de quoi elle parle : elle a collaboré pendant plusieurs années, en tant que traductrice auprès d’Akira Kurosawa et elle a rédigé les sous-titres en français de plusieurs de ses films. Si cette question de passage du japonais au français vous intéresse, ou ses souvenirs de Kurosawa, allez lire en cliquant ici cet interview dans lequel Catherine Cadou, à l’aide de nombreux exemples et d’anecdotes rapporte, avec beaucoup d’humour, son expérience …)
Voici donc son introduction à la série de 8 films que nous allons voir :
« Quand il tourne Le Plus dignement, Kurosawa a 33 ans et vient de terminer son premier film La Légende du Grand judo. Le Japon est en guerre sur le continent asiatique depuis 12 ans déjà et la Guerre du Pacifique mobilise toutes les forces vives du pays depuis la fin 1941. Alors qu’il a goûté à l’ivresse de diriger son propre film et qu’il ambitionne d’enchaîner au plus vite sur un second, Kurosawa demande un délai de réflexion avant d’accepter de tourner pour la Marine un film ouvertement militariste, à la gloire des Zero Fighters, ces bombardiers surnommés les Monstres noirs par les Américains. En choisissant la forme d’un semi-documentaire sur des jeunes ouvrières volontaires enrôlées pour soutenir l’effort de guerre, il contourne la censure féroce de l’époque dont il conteste l’esprit étroit jusqu’à l’absurde. Mais on reconnaît pourtant, dès les premiers plans de Le Plus dignement, le style qui est fait de notations fouillées et de plans montés selon un rythme très personnel, brillant et très efficace.
ll plonge par la suite dans la société japonaise de l’après-guerre dont il ressent intensément la précarité, la violence, la terrible misère. La guerre a laissé un pays en ruines et, avec l’occupation américaine, l’échelle des valeurs a été totalement chamboulée. L’argent qui manque et qui commence à être très mal réparti pourrit toutes les relations humaines. C’est ce qu’il nous donne à voir dans Un merveilleux dimanche mais aussi dans L’Ange ivre où il veut dénoncer l’emprise de la pègre et enfin Chien enragé dont le héros transcendé par un grand sens moral, traverse les foules humiliées qu’il veut sauver.
Illustrant un dicton japonais né dans l’après-guerre selon lequel « les seules valeurs sorties renforcées de la guerre sont… les chaussettes et les femmes », Kurosawa a manifestement aimé écrire et filmer des personnages féminins d’une force, d’une indépendance et d’une résilience extraordinaires comme si, avant l’apparition de Mifune dans son univers, il donnait toute latitude aux femmes pour assumer une liberté nouvelle et exprimer le caractère bien trempé que les bouleversements sociaux de la guerre et de l’occupation américaine leur avaient forgé. Même les mères et les ménagères de Vivre savent revendiquer leurs droits avec une belle vigueur. Et dans La Forteresse cachée, le personnage de la princesse fière et indomptable est aussi inoubliable que les deux nobles dames délicieusement mutines et pas très traditionnelles de Sanjuro.
Tels sont les paradoxes de ce grand maître surtout connu pour ses films en costumes bâtis autour de héros masculins. Il a néanmoins excellé dans la peinture de la société japonaise en pleine évolution et dans l’exaltation des femmes fort peu conventionnelles. » (Catherine Cadou)

Et maintenant, reprenons les films un par un, toujours avec des petits résumés très pertinents de Catherine Cadou, plus des bandes-annonces ou des extraits…

1) LE PLUS DIGNEMENT

J’avais prévu une deuxième video trouvée sur Youtube, un montage qui met bout à bout des scènes extraites de ce film et qui ne montrent que le travail dans l’usine de fabrication des verres optiques, en particulier le polissage, bien sûr (on aperçoit rapidement des images dans la bande -annonce):
Ce montage a été réalisé par quelqu’un qui s’intéresse aux processus de fabrication et à l’usine elle-même, qui a été bombardée et détruite ensuite en 1945. La société était une aïeule du groupe Nikkon… Ce monsieur, sans doute passionné de fabrication des éléments d’optique, a vu « Le plus dignement » comme un documentaire industriel et technologique ! Il est toujours intéressant de constater qu’un même film peut être vu sous des angles ou avec des intérêts complètement différents. Mais il l’a retiré de Youtube.. dommage. Car le montage de ce monsieur technophile aurait pu a son tour être perçu d’un autre point de vue que celui auquel il avait pensé, avec telle ou telle réaction suivant que l’on est par exemple plus ou moins marxiste ou féministe ou je ne sais quoi d’autre encore… Par exemple, pour un cinéphile il semblerait intéressant de souligner la métaphore suivante choisie par Kurosawa : il lui était demander de faire un film de propagande à propos des bombardiers et, tout en refusant intelligemment comme il  l’a fait,  il aurait aurait pu choisir de filmer plutôt la fabrication de munitions ou encore d’autres équipements militaires… non.. Kurosawa choisit de filmer quoi ? des ouvrières qui polissent des lentilles en verre ! ces mêmes lentilles qui sont indispensables dans le cinéma lui-même… Dans la caméra aussi bien que dans le projecteur ! Ce que les ouvrières de Kurosawa fabriquent sous nos yeux ce sont des éléments générateurs d’image, des outils de perception. La juste vision, la vision précise, nécessaire au soldat comme au cinéaste (et au spectateur, qui des fois ne voit pas très bien ce qu’il a devant les yeux, ça reste flou). On pourrait faire un long développement là-dessus, retenons-nous. Soulignons seulement que les loupes binoculaires utilisées pour les vérifications par les ouvrières ainsi que les jumelles périscopiques dont il nous montre le fonctionnement sont deux dispositifs qui obligent le cerveau à assembler deux images distinctes, une par œil, pour construire une vue unique restituant un relief de synthèse. La profondeur de champ et la profondeur de sens, deux idéaux indissociables du cinéma apparemment plat (sur l’écran !) de Kurosawa…

Rassurez-vous, il n’y aura pas d’interro là-dessus à la fin du cycle 2, on vous demandera peut-être plutôt: dans quel film de Kurosawa tourne pour la première fois l’actrice qui deviendra sa femme et comment se nomme-t-elle ? réponse : Yoko Yagushi, dans « Le plus dignement » en 1944)

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2) UN MERVEILLEUX DIMANCHE
Un extrait, pas une bande-annonce. Un extrait qui nous transporte en pleine illusion. Illusion au conditionnel, à la mode enfantine (tu serais ceci et moi je serais cela, on ferait ceci et tu dirais cela) illusion amoureuse, illusion cinématographique bien sûr. Le tout avec un humour délicieux… et une composition qui semble tellement simple (seule la musique devient agaçante quand on regarde ce passage en boucle, mais c’est normal, la musique, en boucle devient toujours agaçante, les images de Kurosawa, au contraire, plus on les regarde plus on remarque des choses différentes : dès la deuxième fois, coupez le son).

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3) L’ANGE IVRE
Extrait (à défaut de comprendre le japonais, savourez les sous-titres de Catherine Cadou même si vous n’avez pas encore lu l’entretien cité plus haut, car cet extrait est un excellent exemple de son travail):

L’acteur Toshino Mifune apparaît là pour la première fois en 1948 dans un film de Kurosawa. La dernière fois ce sera (voir plus bas) dans Barberousse en 1965. Dans cet intervalle, 17 films. 17 quoi ? 17 films. Non, 17 chefs d’œuvre. Tiens, par exemple « Chien enragé »…

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4) CHIEN ENRAGE
Extrait du début. Sans commentaire !

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5) VIVRE
L’autre jour j’entendais à la radio un jeune homme de 39 ans, qui tient à être Président de la République et qui venait d’être pris en flagrant délit d’incohérence (une petite histoire sans importance véritable de fête arrosée au champagne organisée au soir d’une élection dramatique) à un journaliste qui l’interrogeait : « si vous ne comprenez pas ça, c’est que vous n’avez rien compris à la vie ! » dit-il. Bigre. J’ai pensé au film de Kurosawa, je n’aurais pas dû, ça n’a rien à voir évidemment, sauf un mot : la vie, vivre, ce que c’est que la vie. Je suis plus proche du personnage qui sait qu’il va mourir bientôt que du jeune futur tyran. En vieillissant les fortes émotions rendent difficile de s’exprimer, on a la voix et les lèvres qui se mettent à trembloter et les mots qui se coincent dans la gorge. On est vite ridicule. « Vivre » est un film poignant et je préfère donc ne pas en parler. Si vous ne voyez qu’un film de ce cycle, choisissez celui-ci, voilà c’est tout.

Avant la bande-annonce, je vous propose d’écouter la « chanson du film », qui est en fait un air bien connu des japonais, antérieuremnt au film
Lire ici la traduction des paroles en anglais (en français, cela donnerait quelque chose comme : la vie est courte, aimez, jeunes filles avant que fane la fleur rouge à vos lèvres etc.. autrement dit comme un sonnet de Ronsard, mais en japonais) : version lisible avec traduction anglaise
Attention : cette video n’est pas dans le film ! (dans le film c’est le personnage interprété par Takashi Shimura qui la chantonne… et vous fera monter les larmes au yeux)

Bande-annonce (malheureusement elle n’est pas très « engageante » et ne donne pas une bonne idée du film, qui est bien mieux que ça. Il y a des films dont la bande-annonce dit déjà tout, ici c’est le contraire.. tout reste à voir)

Voici un court extrait, qui dure 2 minutes et qui montre un dialogue filmé très simplement, de côté. En un seul  plan-séquence, sans utiliser les sempiternels champs/contrechamps (on montre de face celui qui parle ou celui qui écoute, chacun son tour..). C’est d’abord  formidable numéro d’acteurs de Takachi Shimura et Miki Odagiri,  qui passent l’un et l’autre par plusieurs émotions fortes successives et les expriment avec juste la bonne mesure… La deuxième fois que vous visionnerez cet extrait, remarquez aussi le soin apporté à la composition du plan : observez comment cette scène qui est « psychologiquement » centrée sur ce qui se passe ENTRE les personnages, n’est pas tournée avec un arrière-plan vide, mais au contraire avec une profondeur de champ incroyablement « remplie », la jeune fille qui lit (!) et en plus derrière elle, derrière la vitrine, les passants dans la rue, une voiture qui démarre… Tous ces éléments ne sont pas inutiles : ils sont des éléments porteurs de sens (la vie sociale continue autour des deux personnages qui prennent ce temps de connivence, personne ne s’intéresse à eux, ils ne se sont pas isolés pour se faire des confidences, etc.. vous pouvez  exprimer tout ceci encore autrement). Grand Art de Kurosawa et encore une fois excellents sous-titres proposés par Catherine Cadou, merci. (non, je ne connais pas le japonais, je ne dis pas que ses sous-titres sont excellents par rapport au dialogue en VO, je dis qu’ils sont excellents en français, tout simplement ! )

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6) LA FORTERESSE CACHEE

Une bande-annonce comme on n’en fait plus pour un film comme on n’en fait plus. Jetez un coup d’oeil sur les plans de foule : danse autour du feu, vagues déferlantes de guerriers… Si cela ne vous donne pas envie de voir le film, que dire de plus ?

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7) SANJURO
Dans la bande-annonce vous pourrez réviser le nom des acteurs que l’on retrouve d’un film à l’autre (pas seulement notre cher Toshiro Mifune ou encore Takashi Shimura (« Vivre »)…)

A propos de Sanjuro, avant-dernier film de ce deuxième cycle, il est temps de citer le philosophe Gilles Deleuze et son analyse du passage de la Situation à l’Action dans les films de Kurosawa. Très brièvement, ce qu’a observé Gilles Deleuze, c’est une caractéristique du personnage de Samouraï interprété par Mifune  : une action très brève, voire fulgurante survient après une longue période d’observation ou de concentration. Deleuze dit que toutes les données de la Situation sont réunies avant de déclencher l’Action, qui du coup, en tant que telle peut être indiquée a minima, sans s’attarder. Et ce qui vaut là pour le comportement du personnage vaut pour le film (par exemple avec des dénouements rapides dans le scenario) ou la façon de filmer…(longue préparation et travail d’équipe avec les mêmes acteurs de film en film)

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8) BARBEROUSSE


Pour finir, jactons moins. Dernier film de Mifune avec Kurosawa, un drame qui forme une sorte de trilogie de la Misère avec « Les bas-fonds » et « Dodes’kaden », que nous avons vus dans le premier cycle…
Espérons qu’il y aura un troisième cycle (« Rashomon » ! « Rêves »…et caetera)
La petit montage video de la fin de cette page est bien un hommage, à l’histoire, à l’acteur, au cinéaste… et aussi, au passage, à la musique d’introduction de Masaru Sato..

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