L’italienne à Alger de G. Rossini

L’Italiana in Algeri

L’italienne à Alger

1.L’Ouverture

2. La cavatine de Lindoro

3. La cavatine d’Isabella

4. Programme et compléments


  1. L’Ouverture de « L’italienne à Alger »

La bande-annonce vous le montre bien : ce spectacle irrésistiblement  drôle est un des meilleurs opéra-bouffe. Cette  mise en scène de Salzburg  en 2018 n’a pas lésiné  sur les moyens ni les gags visuels. Et que dire de Cecilia Bartoli sans avoir l’air d’être mené par elle par le bout du nez (comme elle le fait avec tous les hommes, puisqu’elle EST Isabella et qu’elle sait s’y prendre..) Interessons-nous donc plutôt à la musique, les images parlent d’elles-mêmes…

L’Ouverture orchestrale commence par un bref et discret hommage à Joseph Haydn, grand Maître de l’humour en musique. Le début de l’Andante de sa Symphonie n°94, dite « la Surprise » (ainsi nommée à cause de ce début)  :

Chez Haydn, que vous venez d’écouter, la petite arpège simplette initiale ressemble à une comptine pour enfants, du genre qui se chantonne face à face en se tapant dans les mains. Rossini, pour le début de l’Ouverture choisit une mesure à trois temps, plus « dansante » et allégée par les pizzicati , du coup on penserait plutôt à une partie de cache-cache, à quelqu’un qui avance sur la pointe des pieds.  La mélodie minimaliste est construite sur des notes basiques jouées pianissimo et elle est se termine par une affirmation tonique de l’ensemble des vents (bois et cuivres) qui se joignent aux cordes à l’unisson pour un sforzando : changement d’ambiance,  pas question de tourner en rond ou de s’endormir. Clin d’œil à Haydn, donc. Cela commence vraiment bien.

 

D’autres, tel Beethoven n’ont-ils pas fait la même chose ?  Oui, bien sûr vous avez raison. Mais voici le début « à la Haydn » que je préfère. C’est du jazz : Count Basie, enregistré au Japon, en 1977. Le thème « All of me » est un standard. Count Basie, installé au piano sur le côté de son Big Band joue quelques notes d’introduction, comme il sait si bien le faire, puis guitare et basse le rejoignent et installent gentiment le thème sur un coussin moelleux de swing au tempo gentillet. Tout semble bien confortable et pépère, et PAF ! survient la plus grosse pêche de l’histoire du swing, un big Bang à réveiller les morts (je vous aurai prévenu) :

 

Haydn, Rossini, Count Basie : même combat contre l’esprit de Sérieux avec une même structure de gag initial. Mais continuons, parce que si on avance à cette vitesse là on n’aura pas fini avant le couvre-feu.

Tout de suite après le « réveil-clash », on entend chez Rossini… du pur Rossini, c’est-à-dire  un thème lyrique joué, on a envie de dire « chanté » par le hautbois. Puisqu’on a envie de le dire, disons-le : le hautbois chante. (Si vous allez  à la sortie des artistes et que vous apercevez le hautboïste, ne lui demandez pas « C’est bien vous qui jouez le hautbois ? » mais « C’est bien vous qui chantez du hautbois ? »). Il nous introduit dans le monde du chant, il fait désirer encore plus les chanteurs. Après le premier thème vient un second où la clarinette « prolonge » à son tour le hautbois et le changement de timbre en passant de l’un à l’autre  doit être estompé .. par un clarinettiste précautionneux (Non, n’allez pas lui demander : « C’est vous le clarinettiste précautionneux qui rentre derrière le hautbois ? »).

 

Après thème A et B il faudrait aussi parler des figures rythmiques dans l’Ouverture, de son plan d’ensemble, des contrastes, mais mais … il suffit d’écouter :

Cliquez ici pour suivre la partition en écoutant  l’ouverture (en entier, prévoir huit minutes) de l’Italienne à Alger. Merci à Bartje Bartmans, qui effectue ces montages musique/partition et les place sur Youtube. Au cinéma, il y aura des images, peut-être déjà de l’agitation sur scène, des tas de choses à voir, qui détournent malheureusement l’attention de la musique..

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2. La cavatine de Lindoro.

A propos de la difficulté d’écouter la musique et penser ou voir autre chose en même temps, il est temps de citer un  passage de Stendhal, dans le livre qu’il publie en 1824 (lorsque Rossini, qu’il admire tant, vient s’installer à Paris) et qui a pour titre « Vie de Rossini ». Un chapitre est consacré à « L’italienne à Alger ». Dans l’extrait suivant,  il explique qu’il est possible, voire souhaitable de ne pas s’intéresser trop en détail aux paroles :

« …Remarquez que je parle toujours de la musique et jamais des paroles, que je ne connais pas. Je refais toujours, pour mon compte, les paroles d’un opéra. Je prends la situation du poète, et ne lui demande qu’un seul mot, un seul, pour me nommer le sentiment; par exemple, je vois dans Mustafa un homme ennuyé de sa maîtresse et de ses grandeurs, et en sa qualité de souverain ne manquant pas de vanité. Peut-être que l’ensemble des paroles me gâterait tout cela. Qu’y faire? Il vaudrait mieux sans doute que Voltaire ou Beaumarchais eussent fait le libretto, il serait charmant comme la musique; on pourrait le lire sans se désenchanter le moins du monde. Mais comme les Voltaire sont rares, il est heureux que l’art charmant qui nous occupe puisse se passer si bien d’un grand poète. Seulement, il ne faut pas avoir l’imprudence de lire le libretto. A Vicence, je vis qu’on le parcourait la première soirée pour prendre une idée de l’action. A chaque morceau on lisait le premier vers qui nomme la passion ou la nuance de sentiment que la musique doit peindre. Jamais, durant les quarante représentations suivantes, il ne vint à l’idée de personne d’ouvrir ce petit volume couvert de papier d’or.

Madame B***, à Venise, redoutant encore l’effet désagréable du libretto, ne l’admettait pas dans sa loge, même à la première représentation. On lui faisait un sommaire de l’action en quarante lignes, et ensuite, par nos 1, 2, 3, 4, etc., on lui donnait en quatre ou cinq mots le sujet de chaque air, duetto ou morceau d’ensemble; par exemple, ‘jalousie de Taddeo’, ‘amour passionné de Lindor’, ‘coquetterie d’Isabelle à l’égard du bey,’ et ce petit extrait était suivi du premier vers de l’air ou du duetto. Je vis que tout le monde trouvait cette idée fort commode. C’est ainsi qu’on devrait imprimer des libretti pour les amateurs.[…]

La cavatine de Lindor, ‘Languire per una bella’ , l’amant aimé, dans l’Italiana in Algeri, est d’une fraîcheur parfaite. L’effet est puissant et la musique est simple. Cette cavatine est une des plus jolies choses que Rossini ait jamais écrites pour une véritable voix de ténor. Je n’oublierai jamais l’effet qu’y produisait Davide, le premier ou pour mieux dire le seul ténor qui existe aujourd’hui. C’était un des plus grands triomphes de la musique. Entraînés par les badinages de cette voix élégante, pure, sonore, les spectateurs oubliaient tout au monde. Le grand avantage de cette cavatine, c’est qu’il n’y a pas trop de passion; elle n’est pas trop dramatique. L’action commence seulement. Nous ne sommes point obligés de penser à des circonstances plus ou moins compliquées, nous sommes tout entiers au plaisir entraînant qui s’empare de nous. C’est la musique la plus physique que je connaisse. » (fin de citation)

Je vous en propose ci-dessous six versions, de A à F.

(A) En 1953,  à Paris on donnait encore les opéras en version française, en roulant bien les « r »… mais ce n’était pas pour autant facile pour le spectateur…  On devine ce qu’en aurait pensé Stendhal. Voici ce que vous allez entendre si vous écoutez Alain Vanzo dans ce premier Air de Leonoro :

Langui-irrr pour rune be-e-e-elle
Rresté-é rresté é-éloi-a-gné d’e-e-e-elle
Est-il pou-our run a-aman-ant
Un-un plu-us crrru-uel un plus crrruel tou-ourrrment ?
Le jourr viendrra peut-ê-êtrre
Où je pourrrrai-ai la voirr
A dans mon coeurr je sens rrenaître
Un doux rrayon d’e-espoirr.

 

(B) Il n’y a pas que la langue (bien sûr nous préférons entendre chanter en italien, l’italien aurait même dû être la langue de l’Europe, et non l’anglais) il y a aussi les moyens vocaux et la « façon » de chanter : quand il s’agit des ténors , on peut comme sur ce site les classer de différentes façonsRockwell Blake, par exemple, se situerait d’après ce qu’explique ce lien, un peu dans la même ligne qu’Alain Vanzo. (mon beau-frère le trouve plutôt « tenor di forza » que « demi-caractère agile« … mais c’est vraiment une question pour les spécialistes)

Voici une version de concert, accompagnement au piano (Washington, 1982), dont le principal intérêt est de nous donner à suivre.. la partition. Ne trouvez-vous pas que Rockwell Blake en fait un peu trop ? (« Heureusement qu’il réussit sa carrière de ténor, sinon il risquait de devenir exhibitionniste« , dit mon beau-frère, qui est un psychanalyste optimiste).

 

(C) Sans l’image, et seulement le début, voici Frank Lopardo, ténor américain (né en 1952). Si vous avez l’impression que tout se met à trembler autour de vous, ne vous inquiétez pas, c’est son vibrato. Passage dans l’aigu superbe..

 

(D) N’ignorant pas qu’il y a parmi les internautes qui consultent ce site des personnes qui aiment bien voir de jeunes hommes disposant d’un beau torse et d’abdominaux en forme de tablette de chocolat, voici donc Maxim Mironov, filmé à Aix en 2006. Costume et mise en scène minimalistes.

(E) Par contre,la mise en scène suivante (celle qui a été enregistrée à Salzburg en 2018 et que nous allons projeter au cinéma) intervient fortement dans notre perception de la cavatine. Edgardo Rocha :

(F) Pour finir, une version de concert sans négligé vestimentaire, ni agitation, ni décor misérabiliste. En Afrique du Sud il y a une forte émulation et de très bonnes formations musicales. Levy Sekgapane est né à Kroonstad (en Afrique du Sud, pas en Allemagne) où il s’est distingué avant de venir en Europe. il a gagné plusieurs Prix internationaux, dont celui du Belvédère, à Vienne (en Autriche, pas dans la Drôme). Qu’en dites-vous ?

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3. La cavatine d’Isabella

Brièvement : Cecilia Bartoli EST Isabella. Le rôle lui va parfaitement et elle le chante très, très bien. Donc, pas de comparaison, la musique et le texte. Juste un rappel : de manière très classique, ce premier air de la cantatrice est composé de deux parties bien distinctes. les vocalises les plus virtuoses se trouvent dans la deuxième partie, plus animée. Isabella commence donc par se lamenter sur son sort (partie A) puis se reprend (brève intervention du choeur des hommes..) et apparaît alors la  face B du personnage…


Cruda sorte ! Amor Tiranno ! (Sort cruel ! Amour tyrannique !)
Questo è il premio di mia fé ? (Est-ce là la récompense de ma fidélité ?)
Non v’è orror, terror, né affanno (Il n’est horreur, ni terreur, ni tourments)
Pari a quel ch’io provo in me. (Semblables à ceux que j’éprouve en ce moment).
Per te solo, o mio Lindoro, (C’est pour toi seul, ô mio Lindoro,)
Io mi trovo in tal periglio. (Que je me retrouve en un tel danger.)
Da chi spero, oh Dio Consiglio ? (De qui, mon Dieu, puis-je espérer un conseil ?)
Chi conforto mi darà ? (Qui saura me réconforter ? )

[le choeur :
E un boccon per Mustafà. ( Mustafà en fera une bouchée)]

Qua ci vol disinvoltura, (En de telles circonstances, il faut de l’adresse)
Non piu smanie, ne paura : (Assez de frayeurs, plus de craintes 🙂
Di coraggio e tempo adesso, (Il est temps de montrer du courage,)
Or chi sono si vedrà. (Maintenant on va voir qui je suis.)
Già so per pratica (L’expérience m’a déjà appris)
Qual si l’effetto (Quel peut-être l’effet)
D’un sguardo languido, (D’un regard langoureux,).
D’un sospiretto… (D’un petit soupir…)
So a domar gli uomini (Je connais bien les moyens)
Come si fa, (D’apprivoiser les hommes,)
Si, si, si, si… (Oui, oui, oui, oui…)
So a domar gli uomini (Je connais bien les moyens)
Come si fa. (D’apprivoiser les hommes.)

Sian dolci o ruvidi, (Qu’ils soient aimables ou rudes,)
Sian flemma o foco, (Qu’ils soient froids ou fougueux),
Son tutti simili (Ils se ressemblent tous,)
A’ presso a poco…( A peu de chose près…)
Tutti la chiedono, (Ils en demandent tous,)
Tutti la bramano (Tous le désirent)
Da vaga femmina (Le  bonheur…)
Felicità,( Que peut leur procurer une jolie femme,)

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4. Programme et compléments

Cliquez ici pour télécharger le programme de la représentation projetée sur écran le dimanche 15 novembre 2020 à 16h à L’Utopie, si tout va bien ! En attendant respectez les gestes barrières, sortez couverts, traversez dans les clous, ne passez pas sous une échelle, vérifiez que vous avez fermé le gaz avant de sortir, ne blasphémez pas, ne mangez pas trop sucré, triez vos déchets.. ET CAETERA !!!

….Bonus : si vous voulez écouter une curiosité, voici le début de l’Ouverture de l’italienne à Alger interprété par un ensemble d’accordéons. Version complète sur le site des édtions Marc Reift, qui vend le Cd. Ils sont en Suisse, à Crans-Montana (superbe station)

ou encore, dans la catégorie « transpositions », une version pour trompette de la cavatine de Lindoro « languire per una bella dona… »; c’est Eric Aubier qui chante de la trompette :

 

Si vous préférez de la lecture : voici un lien direct vers le chapitre « L’italienne à Alger » écrit par Stendhal (dans le texte intégral de la « Vie de Rossini » qu’il publie en 1823… Quarante cinq ans seulement avant la mort de Rossini) . Je vais d’ailleurs recopier ici sa conclusion :

 » Voilà, me direz-vous, des raisonnements bien longs et surtout bien sérieux sur un jeu d’enfant, sur un opéra buffa.—Je conviens de tout, et de la futilité du sujet, et de la longueur de la dissertation. Croyez-vous que si des enfants voulaient vous expliquer l’art de faire des châteaux de cartes qui puissent s’élever jusqu’au second étage sans qu’un souffle les renverse, il ne leur faudrait pas un certain temps pour vous exposer leurs idées, et que surtout ils ne mettraient pas un grand sérieux à une chose si intéressante pour eux? Voyez en moi l’un de ces enfants. Certainement vous n’acquerrez pas des idées bien nettes ou bien utiles en parlant musique; mais si le ciel vous a donné un cœur, vous acquerrez des plaisirs » (Stendhal)

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Philippe Roussel