Rigoletto

RIGOLETTO

Résumé : Le comte Monterone accuse le Duc de Mantoue, fêtard et libertin, d’avoir déshonoré sa fille. Rigoletto, le bouffon bossu du Duc, se moque publiquement du Comte. Monterone jette alors une solennelle malédiction sur lui.
Or, c’est au tour de Gilda, fille du bossu, d’être séduite par le Duc. Rigoletto décide de se venger à l’aide d’un tueur à gages. Mais la malédiction s’accomplit et Gilda va mourir dans les bras de son père .

1. Ouverture

2. Un début étourdissant

3.Retour aux sources

4. La leçon de chant de Maria Callas

5. Programme, Casting et bonus

 

1. OUVERTURE (ANTIPASTI)

Comme dans une trattoria, pour commencer vous avez le choix. Ici, le choix entre deux ouvertures, en fait ce sera la même, mais avec deux tempi  nettement différents. Dans les deux cas vous allez entendre d’emblée l’ambiance tragique, le thème de la Malédiction, insistant, pesant. C’est une figure rythmique simple, répétée par une trompette et un trombone,

(tonalité do mineur, pour ceux que ça intéresse) Ensuite, en partie centrale se développe un ample crescendo d’entrée des cordes, lesquelles jouent stretto, et qui aboutit à un double fortissimo d’ensemble.. Seule une  mélodie inachevée, ébauchée par les violons évoque alors brièvement quelque chose qui serait plus lumineux, mais cet air plutôt tendre (féminin ?) comporte de nombreuses petites coupures, des hésitations, et s’efface de lui-même. La conclusion de ces 32 mesures  survient enfin, avec force roulement de timbales, comme une marche à la cadence inexorable. Nous sommes prévenus. « La malédiction » était le titre provisoire de l’opéra. Un auditeur de Verdi en vaut deux.

n°1 « version Andante » ? L’orchestre symphonique de Sofia dirigé par Emil Tabakov

 

n°2 « version Largo  » ?  L’orchestre symphonique de l’Academia di Santa Cecilia dirigé par Giuseppe Sinopoli vous interprète la même partition en 3′ 14 (au lieu de 2’07 pour la précédente !..)

Laquelle préférez-vous ? La seconde semble plus expressive et plus « soignée » dans les sonorités, mais elle exagère : sur le manuscrit, Verdi donne l’indication « Andante sostenuto » et par la suite toutes les éditions imprimées (Ricordi, Dover etc) ont ajouté une indication métronomique (66 à la noire…) dont le Maestro Sinopoli s’éloigne beaucoup trop (tempo proche de 40). Mais c’est une interprétation destinée à  l’enregistrement, pas à la scène…

 

2. UN DEBUT ETOURDISSANT

Tout de suite après l’ouverture, lorsque le rideau s’ouvre, le contraste est énorme, brutal : atmosphère de fête et musique entrainante. un ensemble d’instruments à vents joue sur la scène :

Ambiance de fête libertine qui est représentée sur le plateau de manière plus ou moins explicite.  David Macvicarmetteur en scène de la production du Royal Opera House, ne se contente pas d’évoquer la débauche, il la fait jouer porno soft : nous avons droit à des femmes à la poitrine nue et  des choristes priés de simuler la copulation entre eux. Les artistes qui montrent les choses de cette façon se définissent comme subversifs, audacieux et provocants. En fait, tout cela est devenu la norme usuelle. (Dans la Salome de Strauss que David Macvicar vient de mettre en scène en janvier 2018  à Covent Garden, le spectacle commence par une femme complètement nue immobile au milieu du plateau et à la fin quand Jokanaan est décapité, c’est par une sorte d’Heraklès de service, très musclé complètement nu lui aussi, sexe à l’air… la tension monte au syndicat des costumières). Il y a bien des spectateurs qui commencent à se lasser de toutes ces exhibitions mais évidemment comme je ne veux pas passer pour un vieux schnoque, je ne me joindrai pas à ces vilains réactionnaires. N’empêche que je parie quatre double croches contre une noire que votre attention va se porter vers ça plutôt que vers la musique. Car au cinéma, c’est pire que dans la salle. Dans la salle, je regarde ce que je veux mais au cinéma, un individu caché (le réalisateur) a choisi de pointer la caméra sur tel ou tel élément, éventuellement en gros plan, et mon regard dépend du sien. C’est la raison pour laquelle Franz Kafka n’aimait pas le cinéma : il voulait rester libre de ses yeux. Quand il s’agit de l’Opéra au cinéma, circonstance aggravante, ce que l’on ne me montre pas j’ai du mal à l’entendre et ce que l’on me montre m’incite à regarder plutôt qu’à écouter. Bref, au lieu de regarder des évidences routinières, il vaut mieux s’intéresser à des choses rares et précieuses, par exemple la composition MUSICALE de cette première scène.

Une « banda » jouant sur scène pour donner la couleur locale à la fête, cela n’était déjà pas original en 1852… ce qui lui donne de la force, ici, c’est le contraste avec la note ostinato funèbre de l’Ouverture. Là-dessus commence sans tarder une conversation rapide et le Duc entonne énergiquement « Questa o Quella.. » (= Celle-ci ou celle-là pas d’importance) accompagné par l’orchestre dans la fosse … à quoi succède aussitôt sans transition un menuet (!) très classique joué par un petit ensemble de cordes placé en coulisses ! (la première note du menuet du quatuor à cordes coïncide avec la dernière de Questa o quella accompagné par l’orchestre de la fosse)

Sur ce menuet, à la reprise, sans interrompre la continuité musicale, viennent dialoguer le Duc et la Comtesse… Et peu après, les musiciens en coulisses (2 violons, 2 altos, 1 contrebasse) reprennent cette fois une danse paysanne, une « périgourdine » bien de chez nous, comme en jou(ai)ent les ensembles folkloriques

Banda, quatuor à cordes, chanson, menuet, danse périgourdine, tout cela s’entend dans une continuité fluide. les « morceaux » sont liés, intriqués, fondus en un ensemble qui jette des éclats dans tous les sens : un feu d’artifice qui commencerait par le bouquet. Gustave Kobbé, dans son dictionnaire de l’opéra dit de cette scène qu’elle est d’une « gaieté effervescente ».  Julien Budden, musicologue anglais spécialiste de Verdi, écrit que les vingt premières minutes de Rigoletto « sont construites comme un seul organisme et n’ont aucun précédent dans l’histoire de l’opéra » ! Piotr Kaminski, dans son ouvrage de référence « Mille et un opéras » souligne la « densité des nouveautés de l’œuvre« , qui produit un « sentiment très rare de continuité harmonique et dramatique« . Que voulez-vous que je vous dise de plus ?

 

3. RETOUR AUX SOURCES

Victor Hugo, le Johnny Hallyday du romantisme français (¹), avait écrit en 1832 une tragédie intitulée « le Roi s’amuse » et Giuseppe Verdi en fit un opéra vingt ans plus tard. Mais stop, on n’est pas ici dans  Wikipedia… Alors, repartons plutôt de Rabelais, ce sera plus amusant. Dans le Tiers Livre, l’essentiel du récit est consacré aux hésitations de Panurge, qui voudrait bien se marier mais qui a peur d’être cocu. Afin d’éviter ce désagrément, il consulte beaucoup et parmi les experts en cocufiagologie que lui conseille Pantagruel, il y a Triboulet.
Triboulet est le fou du roi. Rabelais, jouant sur le sens du mot « fou » produit une liste elle-même complètement folle, de plus de cent expressions pour qualifier la folie de Triboulet ! (dans cette liste délirante il y a un prémonitoire blason « Triboulet : fou barytonant » !)

illustration de Gustave Doré montrant Panurge tout aussi dubitatif après l’avis de Triboulet

Rabelais (1494-1553) était contemporain du roi François Ier (1494- 1547) et c’est à la cour de François Premier (un roi qui aimait  les fêtes, les bals masqués et qui eut de nombreuses maîtresses : la Belle Ferronière, Françoise de Foix, Anne de Pisseleu, Louise de Savoie, Claude de Rohan, etc..) que se trouvait également ce personnage désigné sous le nom de Fou du Roi, Nicolas Ferrial (1479-1536) alias Triboulet…

Un jour, Triboulet ayant dépassé par son ironie ce que le Roi pouvait entendre dans la critique des mœurs dissolues à la Cour, et ses dénonciations amusées des cocus, le Roi menaça de le condamner à mort et lui demanda de choisir comment il préférerait mourir. Ce à quoi Triboulet répondit aussitot « … de vieillesse, SIre ! » et ce bon mot le sauva. (pourtant la fin de la pièce de Hugo et celle de l’opéra de Verdi suggèrent qu’il n’y a pas pire punition qu’une vieillesse qui sera rongée par le sentiment de culpabilité…)

Pour TOUT savoir sur Triboulet, suivez ce lien, si vous voulez lire l’article le plus complet et le plus plus savant sur le Fou du Roi.

Sinon, contentons-nous de passer à l’étape suivante, Victor Hugo.  En 1830 Victor Hugo découvrit qu’il était cocu. Tout allait bien pour lui par ailleurs depuis Hernani (argent, grands succès et grosse production littéraire) mais sa femme Adèle entretenait une liaison amoureuse avec son ami Sainte-Beuve, et il l’apprit. (La lettre pleine de reproches (!), que Sainte-Beuve adressa à Hugo à lire en suivant ce lien, est un surprenant bijou d’hypocrisie romantique « Que ferais-je désormais à votre foyer, quand j’ai mérité votre défiance, quand le soupçon se glisse entre nous, quand votre surveillance est inquiète et que madame Hugo ne peut effleurer mon regard sans avoir consulté le vôtre ?« )

DONC, nous pouvons imaginer que Victor Hugo s’est souvenu des inquiétudes (justifiées) de Panurge… N’ayant pas le coeur à rire et sachant que les histoires de cocu n’échappent pas au comique, Victor Hugo a transposé, déplacé et embrouillé les données. A la place d’un mari possessif et jaloux, forcément ridicule, il a développé cette figure paternelle hyperprotectrice, qui garde sa fille enfermée. Son envie de se venger en prenant une forme littéraire s’est transformée. Par un mécanisme paranoïaque bien connu il s’en prend à toute une catégorie (les puissants, les gouvernants) plutôt qu’à ce seul et minable Sainte-Beuve. Après le retrait de la pièce, qui était d’une virulence insupportable pour les autorités, Victor Hugo a publié une préface qui ne manque pas de sel : refusant l’accusation d’immoralité il insiste à juste titre (quand on connait le contexte) sur le fait qu’il prend bien soin de punir sans pitié les odieux personnages qui salissent les femmes des autres (mais oubliant qu’il fait tuer la douce innocente : sous prétexte que séduite, elle est « perdue ») :

La pièce est immorale ? Croyez-vous ? Est-ce par le fond ? Voici le fond. Triboulet est difforme, Triboulet est malade, Triboulet est bouffon de cour ; triple misère qui le rend méchant. Triboulet hait le roi parce qu’il est le roi, les seigneurs parce qu’ils sont les seigneurs, les hommes parce qu’ils n’ont pas tous une bosse sur le dos. Son seul passe-temps est d’entre-heurter sans relâche les seigneurs contre le roi, brisant le plus faible au plus fort. Il déprave le roi, il le corrompt, il l’abrutit ; il le pousse à la tyrannie, à l’ignorance, au vice ; il le lâche à travers toutes les familles des gentilshommes, lui montrant sans cesse du doigt la femme à séduire, la sœur à enlever, la fille à déshonorer. Le roi dans les mains de Triboulet n’est qu’un pantin tout-puissant qui brise toutes les existences au milieu desquelles le bouffon le fait jouer. Un jour, au milieu d’une fête, au moment même où Triboulet pousse le roi à enlever la femme de M. de Cossé, M. de Saint-Vallier pénètre jusqu’au roi et lui reproche hautement le déshonneur de Diane de Poitiers. Ce père auquel le roi a pris sa fille, Triboulet le raille et l’insulte. Le père lève le bras et maudit Triboulet. De ceci découle toute la pièce. Le sujet véritable du drame, c’est la malédiction de M. de Saint-Vallier. Écoutez. Vous êtes au second acte. Cette malédiction, sur qui est-elle tombée ? Sur Triboulet fou du roi ? Non. Sur Triboulet qui est homme, qui est père, qui a un cœur, qui a une fille. Triboulet a une fille, tout est là. Triboulet n’a que sa fille au monde ; il la cache à tous les yeux, dans un quartier désert, dans une maison solitaire. Plus il fait circuler dans la ville la contagion de la débauche et du vice, plus il tient sa fille isolée et murée. Il élève son enfant dans l’innocence, dans la foi et dans la pudeur. Sa plus grande crainte est qu’elle ne tombe dans le mal, car il sait, lui méchant, tout ce qu’on y souffre. Eh bien ! la malédiction du vieillard atteindra Triboulet dans la seule chose qu’il aime au monde, dans sa fille. Ce même roi que Triboulet pousse au rapt ravira sa fille à Triboulet. Le bouffon sera frappé par la providence exactement de la même manière que M. de Saint-Vallier. Et puis, une fois sa fille séduite et perdue, il tendra un piège au roi pour la venger, c’est sa fille qui y tombera. Ainsi Triboulet a deux élèves, le roi et sa fille, le roi qu’il dresse au vice, sa fille qu’il fait croître pour la vertu. L’un perdra l’autre. Il veut enlever pour le roi madame de Cossé, c’est sa fille qu’il enlève. Il veut assassiner le roi pour venger sa fille, c’est sa fille qu’il assassine. Le châtiment ne s’arrête pas à moitié chemin ; la malédiction du père de Diane s’accomplit sur le père de Blanche.

Blanche ? Oui Blanche : Dans « Le roi s’amuse » (que vous pouvez lire intégralement et gratuitement en cliquant ici) la fille de Triboulet s’appelle Blanche. Tout un fantasme : ce père célibataire la séquestre quasiment pour la tenir dans la plus grande pureté (exclusivité). Dans l’opéra de Verdi, Blanche devient Gilda, Triboulet devient Rigoletto, le Roi devient le Duc de Mantoue et M. de Saint-Vallier,  le Comte de Monterone. Le livret suit de près la pièce et en reproduit l’intrigue et des parties significatives sont reprises sans modifications.

Par exemple le plus fameux air de l’opéra est déjà un couplet chantonné  par le comédien jouant le Roi dans la pièce de Victor Hugo, au moment où il arrive au cabaret de Saltabadil (lequel sera nommé Sparafucile chez Verdi). Acte IV scène 2  :

Souvent femme varie,

Bien fol est qui s’y fie !

Une femme souvent

N’est qu’une plume au vent !

(en 1882, lors de la reprise de pièce, sur une musique, oubliée depuis, de Léo Delibes. Et en 1832 lors de l’unique représentation ? nul ne sait). Aujourd’hui, on ne peut plus dissocier le texte de sa mélodie verdienne. Cet air possède une structure d’une simplicité terriblement efficace : la même figure rythmique construite sur deux mesures seulement, se répète deux fois huit fois ( =16 fois) avec de toutes petites variations et en se déplaçant de degré en degré. Impossible de ne pas en mémoriser la forme, sinon les paroles;

Vous voulez vraiment l’écouter ? Voici Luciano Pavarotti, à Moscou en 1964 une version de concert,  à la fin de laquelle il bat le record du monde de la note tenue inutilement le plus longtemps possible à 90 décibels. De 2:19 à 2:24 c’est-à-dire 5 secondes.

Les petites figures rythmiques simples et répétées sont souvent au cœur du succès des mélodies de Verdi. Dans Rigoletto il y a par exemple cet irrésistible chœur (petite remarque que vous interpréterez comme vous voulez : dans Rigoletto, les chœurs sont chantés uniquement par les hommes…)


La vidéo provient du conservatoire de Milan (2013) . Sur internet on trouve des versions encore plus incroyables… et c’est bien là un problème des airs de Verdi : APPAREMMENT tout le monde peut les chanter…


4. LA LECON DE CHANT DE MARIA CALLAS

Mais quand le chant est exprimé par une grande artiste, notre perception change. Laissons pour finir les ténors et les choeurs d’homme de côté et écoutons Gilda. L’air de Gilda, vers la fin du premier acte.. Le Duc vient de la séduire et de lui mentir : il s’est fait passer pour un pauvre étudiant nommé Gualltier Maldé. Il l’a embrassée. Restée seule.. elle rêve à haute voix à ce qui vient de lui arriver. La jeune, gracieuse et surtout excellente soprano Nadine Sierra semble se jouer des très nombreuses difficultés de l’air, et cela donne encore plus de force à l’expression de cet érotisme imaginaire et délicat (pur ?).

Afin de mieux apprécier cette interprétation, vous pouvez lire le début du cours donné à propos de cet air  par Maria Callas en 1971 à la Julliard School de New York (extrait de « Maria Callas, Leçons de chant, transcrites par John Ardoin »  publié en français chez Fayard/Van de Velde en 1991) : (images à agrandir par clic…)



Nadine Sierra, filmée en répétition au Metropolitan Opera de New York

5. PROGRAMME, CASTING ET BONUS…

En différé du Royal Opera House de Londres
projection au cinéma l’Utopie de Sainte-Livrade-sur-Lot
Dimanche 11 février 2018 à 17 h 30

Vous pouvez lire et télécharger le programme qui sera distribué à la caisse (synopsis et distribution) :

et maintenant les bonus :

⊕ Statue de Rigoletto sur une place à Mantoue.

⊕ Affiche d’un petit film de 1909, au moment où la société Pathé développe le créneau des  « Films d’Art » et d’histoire..

⊕ Affiche du film « Le Roi s’amuse » de 1941  avec Michel Simon dans le rôle de Triboulet, qui est renommé Rigoletto (!) comme dans l’opéra de Verdi :
c’est un film italien réalisé par Mario Bonnard…

⊕ Si vous voulez comparer de plus près le texte de Hugo et celui du livret de l’opéra, voici les deux textes  pour une scène (celle ou le Duc séduit Gilda) et quelques observations déjà formulées par mes soins, mais … à compléter par votre propre analyse sur pièces ! 

⊕ Couverture d’une édition de poche du « Triboulet » de Michel Zévaco, roman populaire publié en 1910 sous forme de feuilleton… Quand on arrive au bout du volume de 400 pages… ce n’est pas fini ! on est invité à passer au volume suivant (« La Cour des Miracles« ) pour connaître la suite de l’histoire…

Ce roman se lit très facilement , il y a beaucoup de dialogues, voyez la première page :

Chapitre I :

LE ROI

– Ici, Triboulet !
Le roi François Ier, d’une voix joyeuse, a jeté ce bref et dédaigneux
appel.
L’être tordu, bossu, difforme, à qui l’on parle ainsi, a tressailli; ses yeux ont lancé un éclair de haine douloureuse. Puis sa face tourmentée, soudain, se fend d’un ricanement ; ils’avança en imitant le furieux aboi d’un dogue.
– Çà, bouffon, que signifient ces aboiements ? demande le
roi, les sourcils froncés.
– Votre Majesté me fait l’honneur de m’adresser la parole
comme à un de ses chiens ; je lui réponds comme un chien : c’est une façon de me faire comprendre, sire !
Et Triboulet salue, courbé en deux. Les quelques gentilshommes
qui sont là éclatent en folles huées.
– À plat ventre ! crie l’un d’eux, un chien, ça se couche, Triboulet !
– Ça mord quelquefois, monsieur de la Châtaigneraie. Témoin
ce coup de croc que vous a donné Jarnac… sous forme d’un soufflet !
– Misérable insolent ! rugit La Châtaigneraie.
– La paix ! commande le roi en riant. Or, maître fou, parle sans déguiser : Comment me trouves-tu aujourd’hui ?
Debout devant l’immense miroir, présent de la République vénitienne, le roi François Ier se contemple et s’admire, tandis que deux valets empressés achèvent d’ajuster sa toque de velours noir à plume blanche, son pourpoint de satin cerise et son habit de fourrures. (fin de citation)

…et ce roman amusant contient des apparitions étonnates : Michel Zévaco n’hésite pas à faire intervenir dans son histoire des tas de personnages contemporains inattendus : Etienne Dolet l’imprimeur, Ignace de Loyola (!) et Calvin, et même… Rabelais en personne, chez lui, en Touraine ! Rabelais devenu un personnage dans l’histoire de Triboulet (notre Rigoletto), la boucle est bouclée….  la cerise sur le gâteau.

Arrivederci ! (cette très bonne trattoria se trouve à San Gimignano…)


Philippe Roussel

Notes en bas de page :


(1) M. Jean-Louis Debré, Président du Conseil Constitutionnel et précédemment Président de l’Assemblée Nationale, en direct sur France 2 : « Il y avait 2 millions de personnes pour les obsèques de Victor Hugo, il y en a autant pour Johnny. Le prince des poètes, le prince de la musique ». Et, extrait du discours officiel du Président de la République : « …Il a été ce que Victor HUGO appelait « une force qui va ». »  Avec pour finir cette inoubliable péroraison du Président, laquelle  a fait sursauter Bossuet, l’Aigle de Meaux : « Alors, au moment de lui adresser un dernier salut, pour que demeure vivant l’esprit du rock’n’roll et du blues, pour que le feu ne s’éteigne pas, je vous propose où que vous soyez, qui que vous soyez pour lui dire merci, pour qu’il ne meure jamais, d’applaudir Monsieur Johnny HALLYDAY. » (applaudissements autour du cercueil et devant les postes de TV dans les bars PMU)

juin 1885 : foule recueillie à l’enterrement de Victor Hugo à Paris

décembre 2017 : foule hébétée écoutant le président Macron à la mort de « JOHNNY NOTRE DIEU »

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(2) « Il n’y a pas de culture française. » (Le président de la République, discours du 4 février 2017)

(3) Si vous voulez me quitter un instant pour aller lire ce passage du Tiers Livre, ne vous gênez pas, c’est en ligne ici-même, mais attention ce texte est en « vieux français » et je vous conseille plutôt de vous procurer la nouvelle et excellente édition/traduction des cinq livres de Rabelais en un volume, publié en 2017 dans la collection Quarto chez Gallimard.

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(4) Pourquoi je n’ai rien dit de Giuseppe Verdi à propos des histoires de cocus ? Parce que Verdi est un monument intouchable ? oui, probablement plus que Victor Hugo… Et puis, il n’a pas eu de chance avec les femmes : jeune, il perd sa première épouse Margherita et deux de ses enfants; La relation qu’il entretient ensuite sous forme « d’union libre » avec la cantatrice Giuseppina Strepponi  s’avère très compliquée : il la suit d’abord à Paris, mais le retour en Italie se passe mal, pendant dix ans les parents et voisins de Verdi ne voulant pas entendre parler de la Strepponi, et des nombreuses liaisons de cette dévoyée (traviatta en italien), qui a déjà eu deux enfants avant de connaître Verdi et en aura encore deux autres hors mariage… mais tout ça ce sont des ragots.