Benvenuto Cellini (Berlioz)

BENVENUTO CELLINI

 
150 ième anniversaire de la mort d’Hector Berlioz !

le cinéma L’Utopie de Sainte-Livrade-sur-Lot lui rend hommage en projetant dimanche 7 avril à 17h30 la mémorable version mise en scène par Terry Gillian, filmée en « live » à Amsterdam (en 2015)

1.Persée, bronze sculpté par Benvenuto Cellini

2. La musique de Berlioz

3. La mise en scène imaginée par Terry Gillian

4. Programme et compléments

1. La statue de Persée tenant la tête de la Gorgone

Ici, on n’est pas sur Wikipedia. Je résume : Persée  était un héros de la mythologie gréco-latine.  Sur l’ordre de son malveillant beau-père, lequel était persuadé qu’il n’en reviendrait pas vivant, il était allé combattre la plus terrible des trois Gorgones, celle nommée  Méduse. Notre verbe « méduser », en français, est là pour nous le rappeler : le regard de Méduse était pétrifiant… Bref, Persée, évitant de croiser son regard, lui coupe la tête. Une  belle représentation de cet exploit figure  sur ce col de vase grec du VI siècle avant JC (vous remarquerez au passage comment Persée détourne la tête alors que nous devons, nous, affronter le piège du regard de la Méduse… c’est de l’humour grec) :

Sautons par-dessus des siècles très chrétiens pendant lesquels il n’y avait plus de représentation de ce genre de scènes et venons-en sans attendre à la Renaissance et à  Cellini.

La statue en bronze de Persée par Benvenuto Cellini se trouve à Florence. Attention au syndrome de Stendhal ! L’amateur d’art qui arrive à Florence, dont il a tant rêvé, se trouve soudain environné d’une telle quantité de chefs d’œuvres, qu’il peut en avoir le tournis (tachycardie, céphalées, vertiges, malaise). Pas seulement au Musée des Offices ou à Santa Croce (comme Stendhal) mais par exemple sur la place où se trouve le Persée :

Persée est là à gauche, approchons nous tranquillement :

Ce qui frappe, c’est la hauteur, l’élévation :  plus de trois mètres pour la statue en bronze, à quoi s’ajoute son socle en marbre, voyez les petits touristes étalons à gauche ! De ce point de vue on peut apprécier la position globale du corps de Persée : bien appuyé sur la jambe droite,  en position de contrapposto (retour à la statuaire antique du siècle de Polyclète). La jambe gauche, libérée, esquisse un mouvement qui se retrouve au niveau des épaules. Le bras droit en arrière et le bras gauche levé, toutes ces lignes vont dans le sens de la vie et du mouvement sans perturber l’équilibre global.. Conformément aux idées qu’il développe dans ses ouvrages sur la sculpture, Cellini compose une attitude qui donne envie de « tourner autour », de l’examiner sous différents angles (il en dénombrait huit !)

Du fait de la hauteur de l’ensemble, lorsqu’on s’approche un peu plus,  on découvre forcément Persée en contreplongée, comme disent les cinéastes, qui savent depuis Eisenstein quel sentiment d’humilité ce genre de point de vue inflige au spectateur :

Et là, arrêt sur image ! Il y a plusieurs « détails » à observer sur cette photo: le sexe, oui, vous avez raison, mais si vous le voulez bien, passons (mon beau-frère, qui est psychanalyste, dit que la proximité du glaive long et tranchant résume bien l’angoisse de castration qui est au cœur de cette histoire… mais si je l’écoutais je verrais des lapsus de l’inconscient partout. J’ai déjà assez de mal à circoncire mon sujet). Remarquez la musculature apparente, quasiment « sous la peau », de Persée. Ne trouvez-vous pas troublante la ressemblance des deux visages ? Et comment ressentez-vous leurs regards tournés vers le bas ? A la fin de ce combat mythique où il est question de vie et de mort pour un regard, il semblent tous les deux fermer les yeux….

Prenons un escabeau et montons voir tout ceci de plus près (il faut toujours avoir un petit escabeau avec soi lorsqu’on va voir des statues de ce genre)

On voit déjà mieux : la finition, le travail de surface et les détails anatomiques tels que les veines sous la peau sont bien apparents. Admirables. Par contre certains d’entre nous peuvent très perturbés (angoissés ?) par la représentation du flot de sang sous la tête coupée…  ou trouver cela ridicule. D’un point de vue moins émotionnel et plus technique, ce sang, qui s’écoule en turbulences formellement semblables aux chevelures des deux personnages, forme un contraste intéressant, dynamique, entre surfaces lisses et surfaces bouclées. Montons encore un peu. Attention de ne pas tomber.

Incroyable. Cette tête, qui se trouve à cinq mètres au-dessus du sol et qui est à peu près deux fois plus volumineuse qu’une tête réelle, a été réalisée (en bronze) avec un souci du détail qui laisse pantois. Appréciez la profondeur et la netteté du ciselage…Ne restons pas pantois trop longtemps, tournons nous vers la Méduse , ses paupières sont baissées, on ne risque rien, mais gare aux vipères (qui sifflent sur sa tête) :

Quelle virtuosité ! Quelle maîtrise !  Il faut tout de même rappeler qu’il y a des personnes qui n’aiment pas ça, et qui disqualifient d’un mot Cellini, en récitant, avec une petite moue et d’un air supérieur amusé, « Manièriste ! Cellini est un manièriste… » Sous-entendu quelqu’un qui montre surtout son savoir-faire… Le même expert va vous dire dans trois secondes que pour lui, la statue par excellence c’est plutôt, l’esclave  de Michel Ange (comme si c’était là un propos original). « Ah oui, l’esclave de Michel Ange, enchainé dans le marbre, ça c’est du Génie« … Il ne faut pas reculer devant les discussions de goût,  il est toujours possible d’argumenter. C’est-à-dire de décrire. Et de rappeler que Michel-Ange lui-même a écrit à Cellini qu’il admirait ce Persée (enfin, c’est ce que prétend Cellini..) Aussitôt, recul tactique de celui-qui-s’y-connait  : « Ah mais je n’ai pas dit que ce n’était pas admirable, j’ai seulement dit que ce n’est pas ce que je préfère« . Merci. Continuons. Redescendons de l’escabeau, il est dangereux de s’énerver en haut d’un escabeau.

La tête de la Méduse est remplacée par un jaillissement bouillonnant de sang, impressionnant. La mythologie raconte que Pégase, le cheval ailé, est né du sang de la Méduse, ça ne m’étonne pas. Il faudrait encore d’autres photos pour apprécier la position complètement tordue du corps piétiné par Persée. De ce côté : le drapé, le bras ballant, je vous laisse apprécier surtout la main, les doigts, qui, si je puis dire, pendent très exactement. Cellini n’est qu’un « Manièriste »…

Après Cellini d’autres sculpteurs ont bien sûr repris le sujet. Canova, en 1800, par exemple. En marbre blanc. Froid. (mon beau-frère, le psychanalyste, trouve que ce glaive italien, avec ses deux extrémités, l’une droite et l’autre  repliée,  fait penser aux deux dispositions, phallique et détumescente… etc… il m’énerve)

Et pour finir, ci-dessous, Camille Claudel. Il s’agit de la plus grande statue réalisée par Camille Claudel. Un marbre de  deux mètres de hauteur, exposé au musée de Nogent sur Seine.  Cette fois Persée a l’allure d’un jeune homme ordinaire, il semble raisonnablement musclé, son sexe est couvert par un large et long pansement . Pas de flot de sang. Persée, comme le mythe le précise bien, ne regarde pas Méduse directement mais observe son reflet, inoffensif reflet, dans une boucle polie faisant office de miroir rétroviseur. (Je précise ce détail, parce que je crains qu’un jeune lecteur se méprenne et pense que Persée fait un selfie…) Remarquez le contraste entre, d’une part le corps angélique et douloureux de Méduse, qui n’est pas du tout traité de façon secondaire, sa main attire notre attention sur sa position de femme battue,  et, d’autre part sa tête parfaitement droite et apparemment sereine… Surplombante.

Le visage de Méduse ressemble d’après certains observateurs à celui de Camille Claudel elle-même (?) . Peut-on considérer le strabisme comme une « coquetterie » qui serait le secret du charme ? Le regard de Persée est dramatiquement vide. Aveugle ?

Il est temps de passer à Berlioz !

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2. La musique de Berlioz.

Pour nous détendre, après ces observations minutieuses, contentons-nous de comparer le début de l’Ouverture (vingt secondes) interprété de manière… variable..

a. Myung Whun Chung et l’orchestre de l’Opéra Bastille. Brillant !

b. Jean Martinon (1910-1976) compositeur  et chef d’orchestre, avec l’orchestre du Conservatoire dans les années 50 (que de travail pour jouer ensemble la même partition !)

c. Cyril Diederich et l’Orchestre de Montpellier. (il devait faire chaud ce jour-là : allegro… ma… non troppo) :

d. Fritz Busch (1890-1951) et l’orchestre de Hambourg ne peuvent ici qu’alimenter les clichés sur la PanzerMuzik germanique et la Grosse Bertha

e. Autant s’amuser avec la virtuosité des tubas de l’ensemble de cuivres The Black Dyke Mills Band

 

C’est son ami  Alfred de Vigny, le poète,  qui avait conseillé à Berlioz de lire le récit autobiographique de Benvenuto Cellini.  Une nouvelle traduction venait de paraître  « Mémoires de Benvenuto Cellini, écrits par lui-même, où se trouvent beaucoup d’anecdotes curieuses concernant l’Histoire et les Arts« .  Vigny se doutait que Berlioz en ferait quelque chose. A mon tour, je vous conseille la même lecture mais je ne sais pas si vous en tirerez un opéra ou un film. Il y aurait de quoi en faire un biopic : ce serait un film d’action, avec des scènes d’atelier, des voyages, (Cellini a été invité par François Ier à Paris, où il a séjourné et travaillé) des amours (de différents genres, il a été condamné pour sodomie), des rivalités, des rixes et même… des crimes. Deux passages en prison (Cellini s’évade du château Saint-Ange à Rome) et des discussions abruptes avec les autorités ecclésiastiques. La vie de Benvenuto Cellini déborde d’énergie et de fureurs. Il s’emporte facilement.  On comprend vite qu’il exagère, qu’il ment ; il a toujours raison et se donne le beau rôle dans toutes les circonstances. Narcissique et mégalomane .. Bref, vous pourrez juger par vous-même si vous parcourez gratuitement quelques pages à partir de celle-ci, où il raconte à sa façon le travail sur Persée :

Le livret de l’opéra se limite à un petit épisode de cette vie tumultueuse.  Des personnages ont été rajoutés, d’autres changés (au lieu du Duc Cosme de Médicis, c’est le pape Clément VII qui commande la statue à Cellini…). Et il y a une histoire d’amour, bien sûr, qui donne lieu à des arias et des duos comme il en faut dans tout opéra.

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3. La mise en scène imaginée par Terry Gillian

Excessive. Excessive comme l’est la musique de Berlioz par moments, ou Cellini, lui-même dans sa vie et son œuvre. Pour une fois que les excès du metteur en scène vont dans le sens du compositeur et de son oeuvre !

Bref interview en anglais où il parle de sa conception

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4. Compléments :

A PROPOS DE BERLIOZ:

Ce qui serait bien, ce serait de revoir le film de Christian Jacques « La Symphonie Fantastique« , avec Jean-Louis Barrault dans le rôle de Berlioz ! Tourné en 1942 dans les studios contrôlés par les occupants, le film joue beaucoup sur la corde sensible du génie français passé… ce qui ne manqua pas d’agacer Goebbels ; il faut bien dire que ce n’est pas fait sans lourdeur. Mais revoir tous ces comédiens (Barrault, Blier, Roquevert…) n’est pas qu’un plaisir pour dimanche après-midi à l’EHPAD… il y a la musique de Berlioz !
Beaucoup de concerts et de manifestations diverses à l’occasion du 150ième anniversaire de la mort de Berlioz : voyez cette liste de tous les événements programmés 2018-2019, ou le numéro spécial de la revue Classica .
A signaler principalement : le coffret de Cd édité par Decca regroupant les enregistrements surprenants de John Eliot Gardiner avec l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique (sur instruments d’époque). Même ravissement que lorsqu’on redécouvre un vieux film restauré et numérisé.  Par exemple, avant, on était habitué à entendre ceci,  dans le meilleur des cas :

(deux dernières minutes de la danse du Sabbat de la Symphonie Fantastique, Simon Rattle et le Philharmonique de Berlin).

Et voilà maintenant ce que nous fait entendre pour ce même final John Eliot Gardiner !!!

 

A PROPOS DE BENVENUTO CELLINI
Bien sûr ce « manièriste » n’a pas réalisé que le Persée, sur lequel nous nous sommes un peu attardés… La « nymphe de Fontainebleau » a été réalisée pendant son séjour en France. C’est un ensemble en bronze de plus de deux mètres de large qui devait figurer au-dessus d’une grande porte au château de Fontainebleau. La position de la Nymphe est tout à fait originale (et soit dit entre nous, la dimension de la tête par rapport au corps n’est pas très « vraisemblable »)

Autre chef d’œuvre, cette fois d’orfèvrerie, réalisé par Benvenuto Cellini : la salière conçue et ciselée pour François Ier…Or, ivoire, bois d’ébène et émaux. La vidéo est en allemand , mais c’est le meilleur document pour admirer en détail et sous tous les angles ce précieux trésor, qui mesure moins de trente centimètres, ! Sinon, direction Vienne (Autriche)

La dernière œuvre de Cellini (il y en a d’autres !) témoigne d’un Cellini probablement repentant (?) : un Christ en Croix dont le corps est évidemment magnifiquement travaillé (à voir ici sur sur ce site où une loupe permet de zoomer sur les images : à l’intérieur de la bouche entrouverte du Christ.. on aperçoit les dents !!). On est maniériste ou on ne l’est pas.

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ET ENFIN LE PROGRAMME :

Cliquez pour télécharger : ce programme contient le synopsis et la distribution pour cette représentation. Il sera donné à la caisse avec le billet (tarif unique :12 € incluant aussi une petite collation pendant l’entracte)

Philippe Roussel