OTELLO de G. Verdi (Othello)

« Otello » de G. Verdi 

Dimanche 23 juillet à 17h30 au cinéma l’Utopie de Ste-Livrade-Sur-Lot : Projection en différé d’une représentation donnée au Royal Opera House de Londres

1.résumé et introduction

2. La jalousie et le délire de Jalousie

3.Genèse de l’Opéra de  Verdi

4. Jonas Kaufmann

5. Orson Welles : en noir (très noir) et blanc (un peu).

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1. Résumé et introduction

L’action se déroule sur l’ile de Chypre. En pleine tempête, le Maure Otello, chef de guerre victorieux, retrouve sa jeune épouse Desdémone. Mais il devient surtout la proie de son lieutenant Iago, véritable suppôt de Satan, prêt à tout pour se venger de son maitre, qui ne l’a pas promu. Lentement, Iago profite de sa relation confiante avec Otello pour  le persuader que Desdémone le trompe avec le lieutenant Cassio, soupirant auprès d’elle. Iago fabrique chaque preuve de la culpabilité de Desdémone, augmentant la colère du Maure d’indices troublants. La jalousie envahit Otello. Malgré les protestations répétées de Desdémone, injuriée puis bafouée en public, Otello finit par la tuer de ses mains, puis, découvrant l’effroyable vérité,  se transperce de son épée.

La bande-annonce du Royal Opera House pour cette nouvelle production ne donne pas beaucoup d’éléments : elle a été réalisée avant les répétitions et sans la mise en scène !

Antonio  Pappano vous présente maintenant en huit minutes quelques éléments qui lui semblent importants  (avec un pianiste et une  Desdémone de service, Alexandra Deshosties, mais nous aurons Maria Agresta le 23 au cinéma)  :

Dans la video ci-dessus, le maestro Antonio Pappano attire l’attention sur les toutes premières notes de cet opéra qui débute immédiatement (pas de prologue) par des éclats incroyables : tempête, éclairs lumineux sur scènes et un premier accord ff en tutti, dont Pappano souligne qu’il est harmoniquement très audacieux (irrésolu). La première page de la partition montre comment cette déstabilisation de l’oreille est renforcée par un rythme : bois et cuivres à contretemps  dans la mesure suivante, toujours sur le même accord, comme si on le secouait (ce que ne manque pas de faire Pappano avec ses mains)…

On pourrait continuer mesure par mesure à admirer cette introduction… Mais une autre entrée  intervient très peu de temps après et elle est fameuse : le premier chant d’Otello!. Jonas Kaufmann explique dans un interview en quoi le rôle d’Otello est redoutable pour un ténor quel qu’il soit : il ne comporte aucun « répit » et toutes ses interventions sont extrêmement difficiles, à commencer par la première ! « Il faut, dit-il donner tout, tout de suite. » En attendant sa version de ce périlleux  « Esultate ! » écoutons et comparons quelques enregistrements de grandes voix.

Que dit le texte ? Désolé il n’est pas politiquement correct. Otello proclame qu’il revient vainqueur (« Réjouissez-vous ! Exultez ! L’orgueil musulman est enseveli dans la mer. La victoire est à nous et au Ciel. En plus des armes, la tempête les a vaincus. »

Dans l’écoute comparée des versions ci-dessous, il faudrait distinguer l’année, les prises de sons ‘live’ de celles effectuées en studio.. Observez comment la prononciation, le rubato, le vibrato, le phrasé, la respiration, la petite appogiature sur le si aigu, le timbre et la puissance de la voix produisent des différences. Il y a le style « tenor di forza » ou « le ténor héroïque »…Quant à dire quelle est la version  » la meilleure » ? (attendons patiemment Jonas Kaufmann !)

Mario del Monaco

Placido Domingo

Luciano Pavarotti

John Vickers

Alexandrs Antonenko

Le programme (synopsis et distribution des rôles) sera distribué à la caisse. le voici, imprimable… et agrandissable :

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2. La jalousie et le Délire de Jalousie.

L’opéra de Verdi, pendant sa gestation s’appelait « Iago ». Le titre définitif met Otello au premier plan, mais le véritable centre d’intérêt de cet opéra, le point sur lequel  notre attention reste médusée n’est pas tel ou tel personnage, c’est la jalousie. Non pas Otello mais la jalousie qui explose en lui, instillée par Iago..

La jalousie est un affect que tout le monde a éprouvé au moins une fois (!) et c’est un bon exemple si on veut aborder la question de la différence entre ce qui est normal et ce qui est pathologique. Car bien sûr il y a une jalousie normale, d’un côté, et tout au bout de l’autre côté une jalousie folle, qui peut devenir criminelle. Entre les deux existe-t-il une graduation progressive ? ou au contraire y a-t-il à un moment une rupture, un changement d’état : ce qui était un sentiment,  devenant une maladie mentale ? Difficile d’affirmer si c’est un processus continu qui conduit de l’un à l’autre ou si l’état pathologique n’a rien à voir, quand il se déclenche (dans le genre de personnes chez qui c’est possible), avec la petite contrariété banale que connaissent par exemple les enfants, le temps d’une injustice ou d’une préférence mal ressentie.

La jalousie délirante, petit rappel de psychologie classique.
Les descriptions établies par les médecins ont eu longtemps comme préoccupation principale, à défaut de pouvoir guérir, de bien distinguer, de bien nommer, de bien classer. D’où une richesse d’observations et de subtiles distinctions. Ainsi, à l’intérieur du grand groupe des délires de toutes sortes, il y avait le sous-groupe nommé « les délires chroniques systématisés », dans lequel étaient regroupés les délires de revendication et les délires passionnels. Leur point commun étant le côté « systématisé » c’est-à-dire une construction appuyée sur une logique de pseudo-raisonnements et appuyé sur une constitution de base de type paranoïaque (orgueil, méfiance, psychorigidité et projection des torts). Il existe d’autres délires, qui ne fonctionnent pas du tout comme ça et se diffusent autrement. Les écrivains-psychiatres rivalisaient de précision dans leurs études de cas.
Voici un exemple, pris dans le livre intitulé « de la folie Jalouse » du Dr Paul Moreau (de Tours) publié en 1877 (au moment où Verdi pense à composer son Otello, la jalousie est dans l’air du temps, et alimente la rubrique des faits divers… mariage bourgeois oblige, dirait un sociologue) :  Observation 12 de Moreau, à lire ici
J’ai choisi l’observation numéro12 parce que la fin est plutôt comique… mais si vous voulez feuilleter tout pour en lire d’autres, il vous suffit de cliquer sur ces mots ici. Oui, ici, (et hop, dans quelques secondes vous allez vous retrouver dans la salle de lecture de la Bibliothèque nationale, le livre vous y attend, merci Internet et à tout-à-l’heure !)

Moins long à lire : Voici un résumé de cours (Abrégé de psychiatrie à l’usage de l’équipe médico-sociale, 1967 !)
suivi d’un bref extrait du manuel de Psychiatrie du Pr Heni Ey, de la même année :

« Le délire de jalousie consiste à transformer la situation de la relation amoureuse du couple en une situation triangulaire. le tiers introduit entre les partenaires est un rival, et c’est sur son image que se projettent ressentiment et haine accumulés par les frustrations dont a souffert ou souffre le délirant jaloux. Il se sent tragiquement bafoué et abandonné. Sur ce thème fondamental, le roman délirant brode toutes ses péripéties (mensonges, ruses etc) et le délirant contre-attaque à l’aide de tous les moyens ou de tous les stratagèmes que lui inspire la « clairvoyance » qui « ouvre les yeux ». Cette perspicacité morbide polarise sa vigilance, lui fait sonder les cœurs, découvrir les intentions, déjouer les ruses. par un travail d’enquête et de réflexion, le délirant « éclaircit » le mystère et parvient à une vérité pour lui absolue. Quand le délire de jalousie est formé, il se systématise en un faisceau de « preuves », de pseudo-constats, de faux souvenirs, d’interprétations délirantes, et d’illusions de la perception. » (Henri Ey)

Si vous voulez en savoir plus sur la manière dont la psychiatrie actuelle envisage les choses, il faut se reporter au Manuel International de Diagnositc (le DSM), qui est d’un usage très technique et a surtout un but : permettre au médecin de trouver quel code (alphanumérique) il va enregistrer pour l’administration. Voici l’extrait correspondant aux délires.Trouble délirant DMSIV

Mais rien de tel que la littérature ! Dans « Un amour de Swann » , Marcel Proust décrit parfaitement de l’intérieur, une « petite » crise de jalousie : il est intéressant d’observer que l’on y retrouve les mécanismes présents  à tous les stades de la jalousie. (cliquez ici pour lire la page de Proust et mon commentaire). Est-ce que n’est pas l’humour qui sauve le jaloux du délire de jalousie ? (cf… Sacha Guitry)

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3. la genèse de l’OTELLO de Verdi

Giuseppe Verdi, après avoir beaucoup composé et connu le succès s’était réfugié dans le silence depuis plus de douze ans. Son éditeur, Ricordi, le pressait plus ou moins ouvertement de reprendre. Il connaissait le goût de Verdi pour les drames de Shakespeare (l’opéra Macbeth datait de 1847); Il le flatta, rusa et Verdi finit par choisir Otello (dans la correspondance avec son éditeur, pour garder le secret il parle de la préparation du « chocolat »). Il voulut travailler avec un librettiste, Arrigo Boito, qu’il appréciait mais qu’il obligea à suivre ses directives : il fallait beaucoup resserrer et le premier acte shakespearien (le Sénat à Venise) fut même supprimé. Le livret, condensant l’action au maximum, fut rédigé dans une langue soutenue, « littéraire » en éliminant les différences de tons qui existent toujours dans Shakespeare entre les personnages et surtout en alternant le comique et le tragique. Là où on trouve chez l’anglais « Tu veux la voir saillie? » cela devient chez Verdi: « Veux-tu les voir enlacés ? » ou, deuxième exemple, « une putain » devient « une courtisane ». Voici une curiosité à lire à la BN en suivant ce lien: la traduction publiée par François-Victor Hugo (le fils de…). On sait que le librettiste italien Arrigo Boito a utilisé cette traduction en français en plus du texte anglais…
Cela dit, si vous préférez lire l’original de Shakespeare en anglais : le voici ici !

Shakespeare, en 1604, n’avait pas inventé de toutes pièces la tragédie d’Otello. Il avait adapté pour la scène un récit imaginé par un auteur italien, Giovan Battista Giraldi Cinthio (1504-1573). C’était un recueil de cent nouvelles « (« Ecatomiti ») , celle-ci s’appelait le Maure de Venise et l’héroïne était nommée Desdemona (nom dont l’étymologie grecque signifie l’infortune : dys-daemon, sous un mauvais génie). Shakesapeare a développé la psychologie des personnages et en particulier Iago : les multiples déclarations de Iago dans la pièce permettent de nombreuses interprétations sur ses motivations… par contre, dans le livret d’Arrigo Boito (pour Verdi, avec Verdi) et en particulier avec le grand air « Credo.. » Iago est replacé dans une conception d’ensemble très chrétienne, catholique traditionnelle, et il n’est au fond que le suppôt de Satan, rôle et fonction qu’il assume entièrement. Remarquez ses premières répliques (dans Shakespeare comme dans Verdi) : « Exécrez-moi.. haïssez-moi.. »

Rossini avait composé un « Otello » en 1816, sous la forme très contraignante de l’opera seria, avec sa succession d’aria da capo et de petits ensembles. Jouée avec succès du temps de Verdi et à nouveau actuellement. Très belle musique et bel canto, mais entretemps, l’expression des passions dans la musque de Verdi a paru plus émouvante au public…

Certains disent qu’un autre élément intervint pour libérer l’audace créatrice de Verdi : la mort de Wagner en 1883. Verdi admirait Wagner, mais peut-être aussi redoutait-il son jugement : après avoir entendu le grand Requiem de Verdi, le Maître vénéré et d’habitude très prolixe avait soupiré « il vaut mieux ne rien dire« , et ceci fut répété…
Verdi, dans Otello, développe son propre langage musical, toujours à la recherche de plus de « vérité » dramatique. Il intègre des éléments désormais « typiquement wagnériens » tels que par exemple les chromatismes ou de petites cellules rythmiques, dont le Maître de Bayreuth a usé et abusé. Exemple, le début de l’acte II d’Otello : les contrebasses et les violoncelles nous donnent l’impression d’être à Bayreuth, puis Verdi traite le motif à sa façon… et on franchit les Alpes pour se retrouver en Italie ( dans cet extrait d’une antique version, c’est Arturo Toscanini qui dicte le tempo, plutôt rapide)

 

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4. Jonas Kaufmann…

Un des premiers grands rôles dans lequel Jonas Kaufmann a donné la mesure de son talent est Lohengrin, en 2009 à Munich. Dans la video ci-dessous, la mise en scène est à oublier : ridicules choristes alignés en tee-shirts bleus, le premier du rang est sans doute surnommé Gros-bide par ses collègues… Mais il y a la voix de Jonas Kaufmann ! Cet « Air du Graal » pendant lequel le personnage révèle son origine (« dans un pays lointain..) et son nom ; il ne voulait pas le dire, mais Elsa a tant insisté… C’ est un air très attendu. Il arrive après trois heures de préparation… et, chanté par Jonas Kaufmann cela devient le plus beau crescendo du monde… qui commence par un pianissimo d’une voix qui semble « blanche » presque dé-timbrée jusqu’à, deux minutes plus tard un forte débordant d’émotion. (puis le mouvement est repris avec encore plus d’amplitude jusqu’au mot fatal !)

Un autre crescendo d’anthologie de Jonas kaufmann

Jonas Kaufmann est le ténor actuel le plus apprécié dans le monde entier et par conséquent il y a des mélomanes qui ne l’aiment pas. notamment parce qu’il a osé enregistrer des airs pour midinettes ou amateurs d’opérette tels que moi. Avant, un ténor wagnérien ne commettait pas ça.

Par exemple « je t’ai donné mon coeur », air extrait de l’opérette « le pays du sourire » de Franz Lehar . C’est irrésistible, non ? (oui vous pouvez chantonner en même temps)

Je t’ai donné mon coeur
Tu tiens en toi tout mon bonheur
Sans ton baiser il meurt
Car sans soleil meurent les fleurs
À toi mon beau chant d’amour
Et pour toi seul il fleurira toujours
Toi que j’adore, ô toi ma douceur
Redis-le-moi ; je t’ai donné mon coeur
Même en restant loin de toi
Ta présence reste en moi
Ton souffle parfumé m’enivre
Je n’ai qu’une raison de vivre
Toi, rien que toi
Je vois partout tes cheveux merveilleux
Ton regard plein de rêve et tes yeux lumineux
Et nul chant n’est pour moi aussi doux que ta voix

ou des romances italiennes, des tubes de l’été. ici « Parla piu piano » de Nino Rota (Roberto Alagna et Placido Domingo l’ont également enregistré)

Jonas Kaufmann est aussi un chanteur qui joue pleinement ses rôles sur scène. Nous l’avons déjà vu (opéra au cinéma de Ste Livrade) dans le rôle du Chevalier des Grieux (Manon Lescaut en 2014) et dans La damnation de Faust (2016). Il a été un Werther ténébreux et inoubliable. Bref, j’espère que vous serez là le 23 juilllet à 17h30 pour voir et entendre son Otello !

MARIA AGRESTA interprète Desdemone. la voici dans l’Ave Maria de l’acte IV. Cette version de concert a été enregistrée avec Antonio Pappano, aux Prom’s de Londres en 2013 (les Prom’s = concerts promenades, au Royal Albert Hall depuis plus d’un siècle, ainsi nommés parce qu’au parterre, devant l’orchestre il y a un grand espace où les spectateurs écoutent debout, la totalité du concert…)

Pour en savoir plus sur la soprano Maria Agresta, cliquez ici pour visiter son site internet

Et qui chante Iago ? Jusqu’au dernier moment ce devait être notre cher Ludovic Tézier. Souffrant il a renoncé juste avant le début des répétitions et c’est donc Marco Vratogna, qui a déjà interprété plusieurs fois le rôle (à New York, Barcelone, Zurich…), que nous verrons et entendrons le 23 juillet.

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5. Prologue du film « Otello » d’Orson Welles

Plusieurs films racontent l’histoire d’Othello, dès le temps du cinéma muet (1922 Buchowetzki) et jusqu’à des productions récentes (1995 Oliver Parker avec Kenneth Branagh dans le rôle de Iago)  sans oublier la version avec Laurence Olivier en 1965, et il y en aura sans doute encore d’autres…mais le plus réussi, sur le plan formel, cinématographique, est jusqu’à présent celui d’Orson Welles (en 1952).

Orson Welles y interprète lui-même le rôle d’Otello, il est Otello. Le film a été tourné dans conditions épouvantables. Malmené par les producteurs, obligé de travailler avec des bouts de ficelle et de tout rattraper ensuite au montage, Orson Welles réussit tout de même un film inoubliable !

Macbeth, Otello, Falstaff : Les trois opéras shakespeariens de Verdi sont aussi les trois films shakespeariens d’Orson Welles.

Otello. Le film commence par un prologue de quatre minutes, qui est du pur cinéma, du cinéma qui mérite le nom de Septième Art… un petit bijou que nous allons maintenant visionner et examiner plan par plan : cliquez ici pour passer à cette page ...

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Philippe Roussel