La Flute enchantée (die Zauber Flöte) Mozart

La Flûte Enchantée

Die ZauberFlöte

The Magic Flute


 La Flûte enchantée raconte l’histoire d’une initiation.

L’initiation du jeune homme, Pamino, qui entre le premier sur la scène, criant à l’aide parce qu’il est attaqué par un serpent monstrueux. Il est sauvé par l’intervention de trois jeunes fées qui sont envoyées par la Reine de la Nuit et terrassent instantanément la Bête, avant de s’attarder tendrement sur le jeune homme qui s’est évanoui…

Le mode « magique » est installé d’emblée, comme dans un conte pour enfants. Mais alors, l’initiation de Pamino, c’est une initiation à quoi ?

La réponse désormais officielle est la suivante : la Flûte Enchantée raconte une initiation aux idées de la Franc-maçonnerie. Trois arguments à l’appui : (1) la série des épreuves par lesquelles Pamino va devoir passer, (2) le fait que Mozart a été en relation avec une des loges des franc-maçons à Vienne et (3) la « société secrète » de Sarastro, telle qu’elle est décrite et montrée .. La Flûte enchantée  est donc un opéra de Mozart qui raconte de façon à peine voilée l’initiation d’un jeune homme aux rites et aux idéaux de la franc-maçonnerie : Solidarité entre les Hommes délivrés de l’obscurantisme. Point final.

On peut continuer à chercher, quand même ?

Un psychanalyste de mes amis (je veux dire un psychanalyste dont je suis ami et non pas un psychanalyste chez qui certains de mes amis iraient s’allonger) sourit d’un air entendu (je veux dire que l’on se comprend à demi-mot et non pas qu’il a déjà écouté l’œuvre) à propos de la flûte et des clochettes.  J’ai beau lui dire que ce n’est pas une paire de grelots, il hoche la tête et lève les sourcils en disant : « Si ça n’est pas un symbole phallique… »

Oui, il faut apprendre aux jeunes garçons à se servir de leur petite flûte et des clochettes qui vont avec. Les deux couples qui dans cette histoire évoluent en parallèle, et vont donc se rejoindre à l’infini, à l’horizon sont Pamino et Pamina d’une part, Papageno et sa Papagena d’autre part. Ils représentent le passage de l’adolescence à l’âge adulte.. dans les deux cas pour le garçon/homme ! Car les femmes, elles sont déjà des femmes. Il ne faut surtout pas le dire aux Femen et autres chiennes de garde, mais il faut bien l’avouer entre nous, cette œuvre colporte d’affreux clichés sur les femmes en général, dont un jeune homme doit à tout prix apprendre à se méfier. A peine Pamino est-il tombé amoureux du’n portrait de Pamina que déjà trois chérubins lui apparaissent (ellipse d’un final « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » qui lui pend au bout du nez, si j’ose dire).

La Reine de la Nuit est une féministe, qui ne veut pas que sa fille soit soumise : c’est dans le texte ! Elle le clame, le déclame et le chante…

L’opposition homme/femme donne lieu à un des plus beaux contrastes musicaux  ! le contraste des tessitures extrêmes.  A l’acte 2, le fameux air de la soprano, la Reine de la Nuit, avec ses vocalises qui montent au contre-fa aigu, est suivi  aussitôt par l’air de Sarastro avec sa voix de basse qui descend jusqu’à la note la plus grave qu’un homme puisse réellement chanter (sans micro ou autre artifice d’amplification), un fa quatre octaves en-dessous. La performance plus ou moins stridente de la Diva dans l’aigu est l’objet de beaucoup plus d’admiration que l’effort plus ou moins audible de la voix mâle dans le grave..

Pour remédier à cette injustice que même notre Chavez-Mélenchon national ne dénonce pas, bien qu’il ait lui-même un bel organe (de baryton), voici un cours d’interprétation.

John Tomlison donne une masterclass au Royal College de Londres avec un élève, Matus Tomco dans l’aria de Sarastro ‘In disen heil’gen Hallen. En anglais.Remarquez que, comme il se doit, (c’est toujours comme ça dans une masterclass en public) le Professeur commence par essayer de mettre l’élève à l’aise, puis le félicite après sa première version (qui commence à 2:30). Mais après, il critique presque tout.  Pour le public, à l’intention du public, il est indispensable de rappeler que le chanteur doit absolument contrôler sa respiration par les abdominaux, et ne jamais forcer : dans tous les cours de chant en public on entend ça. Comme si c’était obligatoire de le dire. Plus intéressants sont les propos tenus à propos de l’articulation, de la prononciation et de l’importance accordée aux voyelles plutôt qu’aux consonnes (particulièrement piégeuses en allemand). Et puis le phrasé, bien sûr, la mise en valeur du sens, l’expression..


si vous ne voulez pas de bla-bla en anglais, alors voici l’air de Sarastro par René Pape (à Salzburg)

Nous n’avons pas d’enregistrement de masterclass  par Maria Callas. Mais lorsqu’elle enseignait à la Julliard School de New York en 1971-1972, des élèves ont pris des notes. Merci. Puis quelqu’un a tout fait pour les regrouper, les « retranscrire ». On ne peut donc pas dire que les propos ci-dessous ont tous été « textuellement » dits, d’autant plus qu’ils sont ici traduits en français… mais voici tout de même quelques conseils données par la Callas, là propos du fameux air de le Reine de la Nuit. Citations extraites du livre « Maria Callas, Leçons de chant » transcrites par John Ardouin, éditions Fayard/Van de Velde, 1991.

Voici Diana Damrau à Salzburg en 2006 :

Finissons par l’Ouverture et finissons par parler cinéma.

Ingmar Bergman a réalisé en 1975 une « Trollflöjten » dont l’ouverture, à elle seule, est un petit bijou « d’opéra au cinéma ». L’ouverture de La Flûte enchantée dure  environ 7 minutes. Normalement, à l’opéra, le rideau n’est pas encore levé et les spectateurs écoutent. (des metteurs en scène actuels, considérant sans doute que certains risquent de s’ennuyer ou profitant de ce moment pour déjà se faire remarquer, attirent les regards vers quelque agitation scénique de remplissage qu’ils rajoutent).

Au cinéma, le problème de l’ouverture orchestrale d’un opéra est souvent résolue par la caméra filmant les musiciens (et surtout le chef) ou par une surimpression de générique.. Bergman a eu une idée originale et il en a poussé la réalisation jusqu’au bout. L’idée se décompose en deux points : (1) filmer le visages de spectateurs qui écoutent l’ouverture de la Flûte et (2) coller le montage de ces images strictement sur le tempo, le rythme de la musique : le passage d’un visage à l’autre correspond à la fraction de seconde près à une accentuation musicale , au début ou à la fin de chaque phrase. Ce deuxième point est très important car il manifeste le respect du réalisateur pour la musique et surtout il incite à l’écouter (au lieu d’en détourner l’attention). Mozart a écrit un jour une lettre à son père, dans laquelle il plaisante à propos d’une de ses élèves, une jeune fille, qui n’arrive pas à garder un tempo (elle ralentit et accélère quand ça l’arrange) et Mozart prévoit alors que ses progrès seront vite limités, car dit-il  » le plus important dans la musique, c’est le rythme ».  Oui, Mozart a écrit ça. Le montage, au cinéma, c’est pareil. Et là, comme l’image se veut entièrement au service de la musique (??) c’est la musique qui donne le tempo, le rythme.

Bergman montre des spectateurs sagement assis à leurs places et qui écoutent . Bien sûr un jeu de miroirs s’établit entre eux et chaque spectateur qui se trouve dans la salle de cinéma ! C’est un peu comme si lui-même était filmé : on dit souvent que le cinéma reflète la réalité, ici, c’est vraiment le cas hic et nunc. Ces spectateurs filmés sur l’écran font comme celui qui regarde le film. Mais sont-ils comme lui ? Tous ceux qui ont vu cette ouverture de Bergman ont remarqué, au bout de quelques plans de visage, que ce que Bergman montre n’est pas un « vrai » public mais un public idéal : tous âges et toutes origines. C’est un échantillon de l’humanité toute entière. On a l’impression qu’il s’est efforcé de n’oublier personne (aucun « type » de personnes) ! Le message (double) se comprend aisément : universalité de la musique de Mozart et  fraternité médiatisée par l’Art.

Juste pour le plaisir du détail, soulignons l’insistance de Bergman à revenir plusieurs fois sur le visage de la petite fille. Le procédé est lourd mais là aussi les indices sont clairs : l’enfance, c’est-à-dire tout à la fois l’Avenir, l’Innocence (mais qu’en sait-il ? n’est -elle pas une future Reine de la Nuit ?). Et remarquez aussi le début, le tout début : Bergman commence par des images d’un parc en soirée (la Nature.. silencieuse ou presque ) puis nous amène vers le théâtre, en passant devant une statue. Enigmatique statue (rappel de celle du Commandeur de Don Giovanni ?) sur laquelle résonnent les trois premiers accords : trois accords, trois plans successifs qui se rapprochent par palier de la statue… laquelle est filmée bien sûr en contre plongée mais aussi en contrejour.

Attention ! ne vous laissez pas embarquer à tout regarder ! la vidéo visible en suivant ce lien  est là pour voir, écouter, puis  revoir et ré-écouter l’Ouverture. Rien que ça. Sept minutes. Mais combien d’émotions ?

Rendez-vous le dimanche 15 octobre 2017 au cinéma L’Utopie de Sainte-Livrade pour laprojection d’une représentation donnée le 20 septembre au Royal Opera House (covent Garden) de Londres.

Le prix des places (12€) comprend une petite collation à l’entracte et le petit programme suivant, donné à la caisse : (cliquer pour le télécharger)

Programme de la Flûte Enchantée

Philippe Roussel