Monk (Rewind and Play)

Le film d’Alain Gomis est un montage d’archives. En travaillant sur un projet de film consacré au compositeur et pianiste Thelonius Monk, Alain Gomis a reçu de l’Institut National Audiovisuel les bobines de l’enregistrement à Paris,en 1969, d’une émission « Jazz Portrait ». Cette émission, qui a été diffusée par l’ORTF dans une fin de soirée, durait 30 minutes. Mais Alain Gomis découvre que dans les deux heures et demi enregistrées en vrac et soigneusement gardées par L’I.N.A. depuis plus de cinquante ans, il se passe quelque chose qui le surprend et le fascine : la relation entre Monk et le présentateur de l’émission, Henri Renaud. Ou plutôt l’absence de relation, une communication qui ne fonctionne pas ! Il a eu l’idée d’en faire un film. Et le résultat de ce montage, sans commentaire, mais tout de même conçu avec une idée en tête, est un film double très original : (1) de précieuses minutes pendant lesquelles on voit et on entend T. Monk improviser, seul au piano et (2) de foutus moments pendant lesquelles il fait face à un présentateur qui, pour se mettre lui-même en valeur, veut absolument faire dire à Monk des choses que celui-ci n’a pas envie de dire… ou ne comprend pas.

Bande-annonce de Rewind and Play :

Voici la meilleure critique publiée sur ce film.  Ma traduction en français :

Lisa Kennedy New York Times 9 mars 2023
Critique du film « Rewind & Play » : Thelonious Monk éblouit même lorsqu’une interview tombe à plat
Le documentaire d’Alain Gomis utilise des rushes d’une interview télévisée française de 1969 pour dresser un réquisitoire intelligent contre les préjugés de l’industrie musicale et offrir aux spectateurs un hommage subtil à Monk.

Le documentaire « Rewind & Play » fait un usage accablant d’une interview que Thelonious Monk a accordée en 1969 à Henri Renaud pour l’émission de télévision française « Jazz Portrait ». La tournée européenne de Monk devait se terminer à Paris et l’émission avait été enregistrée peu avant. L’interview a eu lieu près de six ans après que Monk ait fait la couverture du magazine Time sous la bannière « Jazz : Bebop and Beyond » et un an avant qu’il n’arrête de faire de la musique

Réalisé par le cinéaste franco-sénégalais Alain Gomis, ce documentaire de 65 minutes crée un portrait – ou deux – à partir des rushes et des chutes que Gomis a reçus de l’Institut national de l’audiovisuel alors qu’il préparait un film de fiction sur Monk. L’un d’eux est une étude d’une interview qui a tourné au vinaigre pour des raisons d’arrogance désinvolte – raciale, mais peut-être aussi personnelle. L’autre est un portrait plus brillant de Monk au travail.

Plus essai cinématographique avec esprit critique que documentaire à proprement parler, le film suggère que Renaud – un pianiste de jazz devenu producteur de disques et plus tard directeur musical – aurait voulu obtenir des révélations, mais aussi quelque chose qui mettrait en lumière sa propre perspicacité. Mais Renaud est continuellement insatisfait des réponses de Monk à ses questions : sur le fait de ne pas être compris par le public français des années 1950, sur le rôle de sa femme Nellie dans sa vie, sur le fait d’être avant-gardiste. Renaud demande une prise après l’autre, incapable d’improviser alors que les réponses de Monk semblent le contrecarrer. (Dans l’émission télévisée de 30 minutes, Monk prononce huit mots, selon Gomis).

Le film n’est pas un simple making-of ou une revanche d’un artiste noir sur un autre. « Rewind & Play » éblouit parce que c’est et restera un émerveillement de voir Monk semblant découvrir ses compositions encore et encore, ses doigts cherchant sans cesse, son pied droit gravant des rythmes.

(fin de l’article du New York Times)

Henri Renaud?

Sans vouloir, ni défendre, ni accabler le pauvre Henri Renaud, le présentateur qui apparaît assez ridicule  dans le montage d’Alain Gomis, voici trois documents. Le premier est une pochette de disque. En 1969, Henri Renaud, co-producteur et présentateur de l’émission « Jazz Portrait » (qui eut d’autres invités) était encore un pianiste réputé dans le milieu du jazz parisien, et même au-delà. Pianiste, compositeur et arrangeur. Sur la pochette, dont il a probablement choisi l’image, on le voit jouer de la main droite au piano et écrire sur la partition de la main gauche, autoportrait en intello de la musique :

Sur Youtube on peut le revoir et l’entendre jouer, ici en quartet avec Jimmy Gourley à la guitare, Jean-Marie Ingrand à la contrebasse et Daniel Humair à la batterie…

Le troisième document reflète bien ce que certains disaient à l’époque (pas moi, mais d’autres..); extrait d’une « Encyclopédie du jazz » publiée en 1958 (j’ai acheté mon exemplaire en 1962…) Chaque musicien de jazz est présenté dans une petite notice (plus de trois pages pour Louis Armstrong !!) : Henri Renaud et Thelonious Monk ont droit autant de lignes l’un que l’autre, et surtout, comme vous pouvez le lire côte-à-côte ci-dessous, Henri Renaud est présenté comme meilleur pianiste que Monk !!

Ce n’est vraiment un problème de racisme inconscient, comme pourrait le penser Alain Gomis, c’est tout simplement parce que Monk n’était pas perçu comme un « virtuose » du clavier..

ALAIN GOMIS

(le réalisateur du montage d’archives). Né en 1972 (trois ans après la session d’enregistrement de Monk !!) il a réalisé des films dans lesquelles les douloureuses questions d’identité sont montrées avec beaucoup de sensibilité. « L’afrance », « Félicité »… mais le film que je préfère est son court-métrage « Petite lumière ». Quinze minutes, vous pouvez le visionner ici. On y voit, au Sénégal, une petit fille qui se pose des questions philosophiques, dignes de Maine de Biran ou Heidegger (« est-ce que c’est moi qui imagine le monde ? » ou « Grand’père est-ce que tu existais avant moi ? ») et les réactions de son entourage. Et surtout cette étrange petite lumière à l’intérieur du frigo (ou de ma tête ) qui ne s’allume que lorsque j’ouvre la porte (quand j’y pense)

THELONIUS MONK

Tout d’abord le bel hommage rendu par Thierry JOUSSE dans son émission de la série BLOW-UP, consacrée à « Monk au cinéma »
Et ce formidable « documentaire »en 1988 « Straight no chaser ». En anglais. Ici la première partie (vous trouverez la deuxième sans problème si celle-ci vous a plu)

Sachez enfin , et ce sera tout, que vous pouvez voir l’émission « Portrait de Jazz, Monk » de 1969, telle qu’elle a été diffusée par l’ORTF. Trente minutes, six improvisations piano solo de Monk, passionnantes. Henri Renaud dans son montage, n’a  rien gardé de  ses plus grosses maladresses, récupérées dans la poubelle par Alain Gomis. Dans le montage ORTF, des photos d’archives sont intercalées, sur lesquelles Henri Renanud donne sa version de l’histoire du jazz. Et Monk interprète successivement :

  • ‘Round Midnight
  • Crepuscule with Nelly
  • Come in the Hudson
  • Nice work if you can get it (un thème de Gerschwin)
  • Thelonious
  • Epistrophy

Pour voir ça il faut aller sur le site de l’Ina, ina.fr, (tapez bien « point èfèr » sinon vous allez vous retrouver chez carglass) et là il faudra accepter de prendre gratuitement, pendant un mois un abonnement à Madelen et rechercher « Jazz portrait »… oui, c’est trop bien caché. On trouve les interviews de Gomis beaucoup plus facilement.