Simon Boccanegra
…enregistré à l’opéra de Paris-Bastille le 13 décembre 2018 et projeté sur le grand écran de l’Utopie à Saine-Livrade-sur-Lot le dimanche 10 février 2019 à 17h30..
Voici le programme (avec le résumé de l’histoire !..) :
Pour apprécier cet opéra, il convient d’abord de se débarrasser de deux désagréments :
- l’intrigue. Cette histoire dramatique pleine de rebondissements et de coups de théâtre dépasse les bornes de la vraisemblance. Le texte de départ a été écrit par un espagnol (ce n’est pas une raison…) Antonio Garcia Gutteriez, qui est également l’auteur de l’histoire à la base d’un autre opéra de Verdi, Le Trouvère. Si on rapproche les deux histoires on s’aperçoit d’un point commun : un enfant abandonné, recueilli, perdu de vue et puis la reconnaissance qui intervient des années après… Tout cela parait terriblement hasardeux et peu probable (à l’heure de la PMA et de GPA optimistes, pour nous qui allons acheter des enfants ou les faire faire en Thaïlande, si besoin est) : nous avons oublié qu’au début du XIX siècle, il y avait plus de 150 000 enfants abandonnés chaque année (en France et proportionnellement autant dans la péninsule italienne). Comme le note mon beau-frère, qui est psychanalyste et qui a écrit une thèse sur le sujet, la généralisation des « tours » (le dispositif à la porte des établissement où on pouvait poser anonymement un nouveau-né) favorisait, pour ne pas dire encourageait l’abandon. Nous pensons d’abord au manque de moyens contraceptifs, bien sûr, mais il y avait aussi le cadre moral et juridique qui accompagnait cet état de choses : le Code Civil de Napoléon, ne change pas grand chose sur ce plan avec l’Ancien Régime,et fait en sorte qu’un homme ne puisse pas être « obligé » de reconnaître un bâtard. On le voit dans la pièce : c’est du père et de lui seul que peut venir, ou non, la déclaration de paternité. Ce n’est pas cela qui est le plus souvent commenté à propos de cet opéra, mais plutôt l’aspect politique, tout aussi difficile à comprendre d’ailleurs, les guelfes et les gibelins, les patriciens et les plébéiens, sauf si l’on dispose d’une grille de lecture qui marche à tous les coups en discernant toujours les mêmes problèmes à toutes les époques…
- la mise en scène. Les costumes du choeur (le peuple) sont du genre « grunge », les pauvres s’habillant comme des ploucs, c’est bien connu. La mise en scène a été imaginée avant les gilets jaunes, sinon on y aurait eu droit. Peu de lumière, bien sûr, et surtout ce bateau, posé là, en cale, encalaminé, une calamité, comme un grosse métaphore encombrante. C’est lourd, c’est gênant. Mais heureusement pour nous (l’opéra au cinéma !) nous avons les gros plans et des prises de vue par plusieurs caméras… et surtout, surtout, comme l’exprime très bien Alain Duault, qui s’exprime toujours très bien , il y a les musiciens et les chanteurs !
Citation d’Alain Duault, qui, lui,était dans la salle, copiée/collée du site OperaOnLine où il publie ses critiques:
« […]Autant l’on est à l’enterrement de l’opéra avec la mise en scène, les décors et les costumes, autant l’on est à la fête avec la formidable réalisation musicale de ce spectacle. On saluera d’abord le maestro Fabio Luisi, qui déploie la matière sonore de cet opéra en conjuguant tout le lyrisme, la tendresse, la violence, l’émotion que tisse la partition. Direction attentive mais jamais démonstrative, avec des ralentissements du tempo qui induisent des respirations larges, la création d’atmosphères subtiles qui supportent les voix : on est en permanence pris dans une matière sonore qui participe de l’architecture de l’œuvre. Il faut dire que l’Orchestre de l’Opéra de Paris montre encore une fois sa richesse, avec des cordes soyeuses, des bois moelleux, un timbalier superlatif (Lionel Postollec), une cohésion de tous les instants – tout comme les Chœurs, remarquablement préparés par José Luis Basso, et dont la ferveur s’impose (entre autres dans un finale du premier acte époustouflant). Et puis il y a la distribution : on peut quasiment saluer tous ces interprètes, judicieusement distribués et admirablement mis en valeur par Fabio Luisi. Si le jeune Mikhail Timoshenko en Pietro montre déjà une autorité qui ne demande qu’à s’épanouir ; si, autre baryton, >Nicola Alaimoest un luxe bienvenu en Paolo (mais correspondant bien en fait au personnage qu’a dessiné Verdi) ; si la somptueuse basse finlandaise Mika Kares est un Fiesco de grande noblesse, sachant cracher sa colère mais aussi, à la fin, exhaler son remords bouleversé ; si Maria Agresta est encore une fois une interprète idéale du rôle d’Amelia, fraiche et juvénile pour son air d’entrée (pourtant bien difficile à lancer à froid !) et surtout pour le duo de la reconnaissance avec Simon Boccanegra, puis intensément lyrique et même dramatique avec la progression tragique de l’œuvre, tout cela déployé par une voix ample, puissante mais aussi pulpeuse et colorée ; si Francesco Demuro est un Adorno un peu en retrait dans ce bouquet vocal superlatif, ne pouvant faire que les tensions éprouvantes de ses aigus, leur acidité, rendent justice à ce personnage d’amoureux un peu trop emporté, tout est aimanté par le rôle-titre, celui autour duquel tout converge, Simon Boccanegra. C’était une prise de rôle pour Ludovic Tézier qui, après avoir chanté tous les plus grands rôles de baryton verdien, trouve dans celui-ci de quoi ajouter une couronne à sa collection. Avec son timbre noir au velours moiré, son sens du legato, son calcul du souffle qui lui permet de longues phrases tenues et colorées multiplement, ce soutien permanent qui semble élargir autour de lui l’espace vocal, Ludovic Tézier possède aujourd’hui l’instrument idéal pour donner toute sa puissance et sa profondeur à ce Verdi de la maturité (il a 68 ans quand il compose la version définitive de Simon Boccanegra. Mais Ludovic Tézier en a surtout toute l’intelligence : il sait être doge et père, il sait faire entendre cette autorité qui s’impose et cette tendresse qui l’envahit : c’est tout l’enjeu du premier acte – et ce « Figlia » à la fin du duo de la reconnaissance est bouleversant en ce qu’il allie la technique vocale et l’expression humaine, le mot jeté d’abord à pleine voix puis peu à peu diminuant pour s’achever en une manière de plainte émue. Mais Ludovic Tézier sait aussi, au fur et à mesure de l’avancement de l’œuvre, faire percevoir cette lente résignation, cet abandon qui le conduit à descendre la rue de sa vie jusqu’au port où il embarquera vers cet ailleurs inexorable. La beauté presque nue, « étreignante », de son ultime rencontre avec Fiesco concentre tout de cette expression humaine que nous cherchons à l’opéra. À ce niveau de vérité, le chant, projeté ou murmuré, intime ou ardent, n’est que le verso de l’apparence et, oubliant tout le reste, on salue, on admire, on remercie. »
Cette video est un extrait de l’acte 1 : Le duo de la reconniassance. Lorsqu’Amelia avoue ses origines modestes « Orfanella il tetto umile« , Son récit trouble Boccanegra, qui pose des questions pleines d’espoir, avant que la vérité n’éclate : elle est sa fille !)… Une bonne occasion de constater (1) que le décor n’a aucune importance (2) que la beauté du chant peut rendre sensible (et donc crédible) un scénario cousu de fil blanc. (3) qu’Alain Duault s’exprime très bien.